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La cambuse du Maître Canonnier

Avertissement :

Les textes, rapports, journaux de marches, notes etc., rédigés par des membres du Garde Chauvin, n’ont pour but que d’amuser l’adhérent ou le lecteur passionné d’histoire, d’humour et de caricatures, le tout devant être pris pour du second degré et au-delà. Chacun des auteurs décrivant à sa façon ce qu’il a vécu ou vu au cours d’une manifestation ou animation de reconstitution historique. Le texte original est alors modifié par la rédaction, transformé, remis dans un contexte historique en y ajoutant des expressions du temps, de l’argot et expressions populaires, voire des mots provenant de dialectes ou patois régionaux. L’ensemble du texte est ensuite soumis au contrôle de correcteurs qui vérifient l’orthographe plutôt que les règles grammaticales souvent mises à mal. Soyez indulgents et ne prenez jamais le contenu de ces textes pour parole d’Évangile.







Le 4 octobre de l’an 21




Journal de marche du sergent Tire-Bourre.

Chef de pièce du 1er canon de la 1 ère Batterie de la 1 ère Compagnie du 1 er Bataillon du 3 ème Régiment

d’Artillerie de Marine.




Mission du 02 au 03 octobre 2021.

Camp d’Aubigny Les Clouzeaux


Vendredi 01 octobre 2021


14H30. La compagnie du « très » grand train d'artillerie d’marine est prête, les pièces sont attelées. Je fais l’appel de ma compagnie : « Le Brutaaal ! Présent, mon sergent ! Parfait ! ». Mon effectif est au complet. Les ordres sont de faire mouvement vers … : « Ah ! bin c’est pas loin c’te fois ! », que je m’dis ! Les autorités locales craignant quelque embuscade, souhaitent marquer le territoire de la présence des forces armées impériales. Ce « territoire » hostile n’est autre que le mien, en plein pays « Blanc ». Après un voyage, considéré comme interminable*, mais qui n’a duré, en fait, que deux minutes, nous arrivons enfin sur notre lieu de cantonnement, en plein centre-bourg d’un bled** nommé Aubigny Les Clouzeaux.

*En effet, un représentant de ma compagnie et v’nu me dire : « Sergent, c’est quand qu’on arrive, alors que nous n’étions pas encore partis ! ».
**Bled : Petite bourgade en plein désert, entouré de palmiers, me rappelant ma campagne d’Egypte.

Un terrain plat, plutôt sec, parsemé de grands arbres est mis à notre disposition. Mes hommes et moi, soit deux canonniers, commençons le déchargement des 17 chariots, carrioles, caissons, tombereaux, brouettes… marqués à la craie Pinder, sans doute le nom de l’officier commandant la compagnie du train des équipages. Sont déchargés : deux tentes, trois tables, quatre chaises, deux cambuses, un sabord, deux bastingages, un mât de misaine, un mât de drapeau, une tonnelle, un tivoli, etc., puis le détachement du train d’artillerie de La Rochelle dételle à son tour, trois canons (ou namois) sur affût de type Gribeauval.


16H00. Arrivé du cabriolet du commandant, tiré par deux superbes chevaux blancs, suivi d’une sorte de guimbarde de transport attelée à quatre vieilles mules, empruntée au dépôt des équipages de la flottille, sis dans un lieu-dit perdu au milieu des marais charentais, dénommé La Gripperie-Saint-Symphorien, rien que ça ! Foutu pays d’moustiques qui n’vous piquent pas, mais vous empalent tout net ! Chassant ces idées morbides, je constate qu’il n'est pas venu seul, il a près de lui un bien curieux personnage, ingénieur de marine de son état, pour le moins particulier. Il serait, d’après ses dires, un Breto-charento-vendéen de… La Rochelle. Sa propension à ingurgiter tout liquide qui pique la gorge est grande, mais il finit toujours par une simple infusion de… camomille, avant d’aller se coucher. Pratique curieuse chez ce gratte-papier. Certains le surnomment déjà Pépé-Camomille, à son grand dam. Mais pas le temps de s'attarder sur des broutilles, car l'Vieux commandant hurle déjà : « On décharge, on monte, on installe et surtout on ferme sa gueule ! », le truc habituel quoi ! Propos qui me rappellent une citation d’un citoyen nommé Fernand Naduin qui disait : « C'est jamais bon d’laisser dormir les créances, et surtout de permettre au p’tit personnel de rêver ! ». Il est toujours bon de rappeler que le canonnier de marine est un homme cultivé, même s’il ignore si cette célèbre citation convient bien à la situation du moment.


19H00. Le gros des troupes se présente enfin, il s’agit des ouvriers et matelots, et non point du commandant qui, lui, est là depuis tantôt. Quelques compagnons nous narrent leurs aventures particulières pour arriver jusqu’à Aubigny. Certains, ayant en main des cartes géographiques de Cassigny, sont parvenus à destination sans problème. D’autres, suivant les indications des télégraphes Chappe plantés ça et là dans la campagne, se sont perdus, égarés par des messages contradictoires d’un maître télégraphiste dont nous ne connaissons que les initiales G.P.S. Les retardataires sont tout de même accueillis chaleureusement par not’ chef qui leur dit en termes modérés mais non moins militaires : « Magnez-vous l’train d’monter ces foutues tentes, bandes de moules de bouchot ! ». Il connait bien les mots qui motivent le soldat d’marine, not’ commandant.


20H00. Le canonnier Le Brutal (second de popote pour l’occasion) prépare le repas « frugal » des officiers et canonniers, en faisant chauffer, dans un chaudron de cuivre, des choux soufflés aux trois fromages et lardons. De son autre main, il brasse dédaigneusement, dans une relique de faitout en fonte, une sorte de bouillie malodorante de vieux quignons de pain moisi, accompagnée de gras de lard rance, parsemée de bêbêtes protéinées vivantes. Festin de roi destiné à une troupe d’élite. Quand à moi, pour l'apéro, j’pratique une méthode éprouvée des militaires en campagne. Je m'en va faire des réquisitions chez l'habitant, accompagné d’un détachement de marins, baïonnette au canon. Les épiciers, bouchers, boulangers et pécores locaux, sont fort accueillants au demeurant, et nous reçoivent à « bras ouverts », ou plutôt à « bras en l’air », tout en balbutiant une sorte de patois local du genre : « Piti-illé piti-illé », voire du : « Panous, panous ! ». Drôle de façon de dire « Bonsoir messieurs les militaires ! », mais que peut-on attendre dans ces lointaines contrées vendéennes. Sourire carnassier aux lèvres, je déclame mon identité puis la phrase magique habituelle : « B’jour les pécores, REQUISITION ! On est 40 marins, faudrait donc de la boustifaille pour 60. Alors, qu'est-ce qu’ils donnent gentiment les bouseux ? ». Certains répondent : « Heuuu, on a du potage Bérézina ou des carottes cuites façon Waterloo ! ». Ces références culinaires ne me convenant pas, j’dis à mes hommes : « Croisez baïonnettes ! » puis j’passe la main dans ma giberne pour chopper une cartouche. Voyant les choses tourner au vinaigre, les bougres se reprennent et disent : « On a aussi d’la pizza Marengo ! ». Ah ! Quel joli nom qui m’rappelle ma campagne d’Italie en 98. « Eh ben voila, quand on veut, on peut ! ». Je rajoute : « Z’avez une heure pour rassembler tout ça, sinon, j’fais v’nir not’ quartier-maître crameur l’écosso-breton-jeancomien Lapérouse qui f’ra un feu d’la Saint-Jean d’vos baraques ! ». Cela m’rappelle une vieille citation d’un grenadier nommé Audiard qui disait un jour, lors de la campagne d’Italie, à deux types qu’il avait fumés au 1777, et qui sortaient d’l’hôpital : « J’dis pas qu’c’est juste, j’dis juste que ça soulage ! ». Mais trêve de civilité, faut partir !


23H00. Le temps clair, le ciel étoilé et l'air frais me rendent légèrement sentimental, car, comme vous le savez, le canonnier de marine l’est naturellement. Sous MA tente, quelques compagnons sont affalés sur MA table et se tapent des bavettes assis sur MES chaises. Il se fait tard, mes paupières sont lourdes, l’est temps d’rejoindre ma paillasse. J’glisse deux mots à mes braves noctambules camarades de soirée : « Z’allez maintenant décaniller d’ma tente ou j’vous transforme en pudding farci à la gelée de menthe ! ». Eh oui, toujours des références culinaires, même pour cette volaille parasite, sauf à not’ bon commandant à qui je propose un dernier gobelet de son « médicament » favori avant de l’accompagner à sa tente, et de border son lit où il reposera au chaud pour le reste de la nuit.


23H30. L'heure du repos a enfin sonné pour le guerrier que je suis. Je ferme mes paupières l’une après l’autre selon la consigne. Tout est noir et calme, les ronflements du Brutal et du commandant me bercent et me rassurent. Fin du rapport du jour !



Samedi 02 octobre 2021


05H30. Réveil, épouillage, habillage et éclairage. « Fichtre de Filles de joie ! » que j’me dis, il fait encore tout noir dehors. J’ravive le feu en partie éteint par la pluie, j’complète la flotte dans l’broc pour faire le café. L’commandant n’va pas tarder à venir me taxer du café-noisette bien chaud.


06H30. D’agréables effluves venant des fournils du bourg, couvrent l’odeur de la fosse d’aisance à proximité. Mon organe olfactif d’artilleur sait différencier l’odeur putride de la poudre à canon, de la miche de pain craquante de campagne, de la brioche vendéenne, ou d’celle de la gâche tressée. Tout cela sent aussi la réquisition. Aussitôt dit, sitôt fait ! Les boulangers rencontrés tiennent les mêmes propos incompréhensibles de la vieille, mais sont, en fait, fort généreux. J’dis à mes hommes avant repartir vers le camp : « Baïonnette au fourreau ! ». L’autochtone local du bourg semble rassuré.


07H00. Petit déjeuner rapide et frugal. J’vous passe le détail du menu Mon commandant, puisque vous avez partagé la brioche fondante, beurrée de fromage odorant, trempée dans du café-noisette tout chaud, tout ça sous la tente de votre servile et courbé sergent canonnier de marine, qui un jour, peut-être, portera fièrement sur ses frêles épaules de forts belles et dorées épaulettes de lieutenant. Trêve de rêverie ! La troupe, elle, se contente d’eau d’pluie tiède coupée d’marc de café et d’lait caillé, avec les restes de pain rassis de la veille beurré à la graisse d’essieux. Les braves gens !


08H30. Rassemblement ! C’est une jeune recrue, l’apprenti-ouvrier Léandre, dénommé Plan-Plan qui gigote des baguettes sur son trop grand tambour. « Vouuuus ! », qu’il aboie l’commandant. Les couleurs nationales sont levées ainsi que celles d’un pays presque conquis, le Portugal, le drapeau ayant été pris à Almeida. Le sergent fait l’appel et les consignes sont données pour la journée. Voici qu’arrive la clique des fifres et tambours de l’arsenal de Rochefort. Il n’y a pas de hasard, que j’me dis, c’est l'odeur du petit déjeuner qui les a attirés. Chacun vaque à ses occupations.


09H00. « Rassemblement ! » qu’il hurle de nouveau le sergent. Le deuxième de la matinée. Musique en tête, le détachement mixte de marins défile jusqu’à la mairie où le bourgmestre l’attend. C’est aussi l’occasion de montrer aux habitants du bled, la force protectrice impériale que nous sommes, contre la barbarie, et qu’ils sont tenus de nous fournir « volontairement », tout ce dont nous avons besoin. Denrées, bois et paille que nous payerons cash avec des assignats de papiers, contre reçus bien entendu. Dans les ruelles du bourg, nous croisons quelques habitants surpris de nous voir chez eux, d’autres sont jaloux de surprendre le sourire béat et les clins d’œil de leurs épouses envers les beaux marins que nous sommes. Plusieurs compagnons font discrètement des signes de la main, les doigts écartés, signifiant « 5 mois d’mer, c’est quand tu veux ma poulette ! ». Le message subliminal semble reçu, puisque certaines de ces dames se sont approchées nuitamment du camp, même sous la pluie battante. Il y a des traditions, comme ça, qui dureront jusqu’à la fin des temps. L’odeur corporelle du sable chaud pour les légionnaires, du chacal mort pour les fantassins et celle des crustacés pour les marins, reste irrésistible pour la gent féminine. C’est là un des mystères de la nature humaine.


10H00. Réception, prise d’armes et revue devant le maire de la commune. Le détachement de marine, poitrines bombées, s’en retourne au camp, rassuré de la bonne tenue des ventres-à-choux locaux, qui ne tenteront rien de fâcheux contre leurs protecteurs.


10H10. Consigne est donnée à mon escouade de patrouiller dans les rues et d'inspecter les échoppes du bourg pour vérifier les patentes, voire les passe-sanitaires. En cas de doute, confiscation des denrées et amende forfaitaire de 135 Napoléon. Du coup, tous les tenanciers de troquet offrent gracieusement la goutte de genièvre aux matelots. « R.A.S ! » que j’dirai au « patron » en tant que chef de la patrouille, mais bizarrement, j’ai l’impression d’marcher en crabe.


10H20. Ma patrouille continue son inspection des boutiques. Suivant les mouches, elle arrive devant l'étal du boucher où pend une bonne tête de goret et des chapelets de saucisses. J’dis dans un hoquet : « Alors, l'est où c'te patente ? ». L’homme au tablier ex-blanc maculé de sang, répond en tremblant : « Ben, heu, comment dire... on l’a d’mandée, mais l'est pas là ! ». Certes, l'artilleur de marine est par nature, compréhensif et magnanime. J’dis alors à mes hommes : « Croisez …nettes ! ». « Pas d’patente hein ? Bon, la consigne est de confisquer la barbaque ! », que j’dis au bonhomme ventru. Sur le fait, v’là qui nous offre une vingtaine de kilos de viande et 10 kilos d’choux qui trainaient près de son étal. Toute cette bouffe étant ben trop lourde pour nos frêles épaules, nous « empruntons » la brouette d’un paysan qui passait par là, contre un gros bouton d’uniforme qu’il a pris pour un Napoléon en or. Bon maintenant, en route vers la boulange, dont l’odeur venant du fournil fait frémir nos narines. Même question au bonhomme couvert de farine : « Alors, l'est où c'te patente ? ». L’farineux récite le même couplet que l’autre quidam : « Oui, oui, Piti-illé piti-illé, ben, heu, comment dire... on l’a d’mandé, mais l'ai point à c’heure ! ». Tiens comme c'est marrant ! Ca m’dit quéqu’chose. Z’ont appris le même refrain ces oiseaux là ! Bon, eh ben, même motif, même punition : « Confiscation des miches! Pas celles de la patronne, mais les aut’ de campagne ! ». Tous ces bons pains, offerts volontairement, vont rejoindre la brouette. D’un pas alerte, nous continuons notre marche, tambour battant, dans ce bourg si généreux. Ah ! v’la l’primeur : « Alors, mon brave, l'est où c'te .... ? ». Vérole de mouche à lait ! Que j’me dis. Pas l’temps d’finir mon propos qu’le bestiau prend ses ânes à son cou, laisse là ses denrées, et file dare-dare dans une « palice »* en bordure des bois. Ben, j’veux jurer de rien, mais moi j'pense qu’il n’avait pas d’patente. La brouette débordante de victuailles, nous prenons possession d’une carriole et son bidet qui passait par là, au grand dam de la bonne sœur aux grandes cornettes blanches. J’y dis sans m’retourner : « Mon chef, Lumière-Céleste, vous les rendra ! ».

*Palice : Nom d’une sorte de haie en patois charentais, souvent évoqué par not’ matelot Mélissa dite « Sans-Quartier » lorsqu’elle nous raconte sa jeunesse tourmentée avec les drôles et drôlesses de son bourg de La Gripperie-Machin dans les marais saintongeais.

10H35. Retour au camp. J’fais rompre les rangs au gueulement de « Vive l’Empereur ! ». Les armes sont mises en faisceau, et j’va faire mon rapport au commandant en tenant ferme les rênes de la bourrique récalcitrante qui tire la carriole remplie d’approvisionnements. Le vi… commandant me tire l’oreille de contentement. Je salut l’galonné et j’fais un demi-tour à droite à l’ordonnance ou presque (c’est l’reste du genièvre bu tantôt qui perturbe mon équilibre). Prenant des repères, j’filoche presque droit vers ma cambuse où les ordres fusent pour ceux qui sont de servitudes : « Corvée d’pluche, préparation et cuisson d’la popote, fissa ! ». L’artificier gueule à son tour : « Au caisson, confection des cartouches et gargousses pour la journée, on s’bouge le fion tas d’marins d’eau douce ! ». Ca promet ! Mais tout cela est conforme dans l’univers des militaires.


12H30. Ding, ding, fait la clochette de la cambuse qui prévient la troupe qu’il est temps de s’restaurer un brin. La tente réfectoire est bien montée, parfaitement haubanée, les tables installées, mais y a un hic, point d’bancs pour y poser son postérieur. Dehors, il pleut drument. Le marin ne craint pas l’eau, même celle qui tombe du ciel. Les hommes s’alignent sous la surveillance des caporaux et passent, gamelle en main, devant l’maître coq, c'est-à-dire moi-même pour l’occasion. L’artilleur de marine sait être polyvalent à ses heures. Menu du jour : écrasé de restes de choux râpés et de patates germées, accompagné de raclures de billot d’cochon porcin, le tout saucé d’eau bénite cuvée du très-haut. Les « convives » semblent surpris de ce mélange, disons… gastronomique. Pour une fois, dans la gamelle, l’porc remplace l’équidé de réforme souvent imposé par l’cambusier carnassier La Garouille absent pour raison d’indigestion d’canassons. Tous les hommes et la seule cantinière présente nommée Kanel *, mangent debout, en capote, sous un gros arbre, peu feuillu, et sous une pluie battante. Les braves gens !

*Kanel est la « moyenâgeuse » compagne de l’ouvrier Le Cadet que certains compagnons jaloux surnomment Trois-Pommes, quelle
idée saugrenue !

Plus loin, sous la tente (étanche) de votre serviteur, sont attablés not’ vénérable et héroïque chef de corps Lumière-Céleste, son adjoint l’ingénieur Pépé-Camomille, le sergent La Gabelle et le canonnier d’marine Le Brutal. Je présente à not’ bon chef le menu du jour, légèrement différent de celui proposé (imposé) à la troupe : salade de choux aux trois saveurs, accompagnée de dés de jambon de porc noir ibérique « Sérrano » et fromages de pays, au fondant de goret et sa garniture parmentière parfumée aux herbes fines. Les effluves provenant de not’ chaudron parviennent aux naseaux des matelots qui tentent de les comparer avec l’odeur des « choses » qui baignent dans leur gamelle. De vilains rapporteurs ont répété certains propos du genre : « Z’avez beau dire, y a pas seulement que d’la pomme… y a aussi aut’ chose ! Ca n’s’rait pas des fois d’la betterave ? Hein ! ».


14H00. Rassemblement ! Le troisième de la journée. Les ordres sont d’impressionner la populace du bourg en manœuvrant comme à l’exercice, histoire de démontrer qu’une troupe organisée et armée de Charleville 1777 et de canons d’calibre 4, vaux mieux qu’une bande d’autochtones équipés d’fourches en bois à trois doigts et d’faux encombrantes. Plusieurs de nos braves marins portent un, deux, voire trois chevons d’ancienneté sur le bras gauche, prouvant aux septiques le nombre de campagnes faites par ces braves guerriers dans toute l’Europe et au-delà.


Durant la démonstration de force devant un public ébahi d’une dizaine de paysans, dont plusieurs avec leurs dames, nous sommes informés qu’un fort vilain coup de vent a écorné des bœufs, voire certains locaux portant des cornes depuis la nuit dernière, et doit nous tomber dessus sous peu. Un vrai temps d’anglois, quoi ! N’étant pas en mer, aucune voile n’est à affaler, ni d’arrimage de pièces à faire dans les sous-ponts, mais une vérification des bouts, sardines et fixations diverses des tentes. Ce mauvais temps nous tombant dessus à l’improviste ne semble pas être un hasard de la nature, mais d’une maudite conséquence des prières des superstitieux « blancs » du coin, contre not’ République impériale. Sur le fait, voila t’y pas qu’une bande de guérillas, comme on les nomme en Espagne, accompagnée d’habits rouges viennent troubler la quiétude de notre pacifique camp. Ca tire à tout va sur les marins, dont certains sont déjà en route vers leurs ancêtres. Dans l’obscurité du sous-bois, on aperçoit des formes. Le « baoum », puis le « vouuf ! » du boulet qui passe et la fumée qui s’échappe de la sombre verdure prouve la présence d’un canon. « Alerte, aux armes ! » que j’gueule tout fort. La pluie redouble et l’commandant arrive pépère, canne sous l’bras, y fait mettre une de mes pièces en batterie et les marins sur deux rangs, l’arme sous le bras gauche, pour point mouiller la poudre. Les troubleurs de fête ignorent que nous avons la puissance de feu d’un croiseur et des flingues de concours, comme dirait l’autre. La pièce est chargée à mitraille, car l’assaillant n’est pas ben loin, il commande, comme à l’exercice : « Apprêtez, joue, feuuuu ! ». Notre ligne se couvre de fumée, mais en face, ça beugle bruyamment, tant en patois local qu’en anglais. Les branches d’arbres broyées par les biscayens dégringolent sur les English, et ceux qui parviennent à se dégager des branchages sont sitôt émondiés par nos tirs précis. Après deux ou trois décharges de la sorte, l’commandant, tout mouillé, mais stoïque sous les balles, ordonne : « Croisez baïonnettes, pas de chaaaarge, maaaarche ! ». En deux minutes, y a plus qu’un tas d’ex-ennemis et un « namoi » de plus à ma collection. Il « parle » un peu l’anglais, mais j’va lui apprendre notre dialecte de canonnier-marin Français.

L’commandant ordonne qu’on fasse le ménage et qu’on cache sous l’tapis ou plutôt dans une fosse commune

les restes déjà raides de ces visiteurs du soir qu’étaient point invités à not’ sauterie. Pelles et pioches sont de sortie pour cette opération.


Hélas, le temps passe vraiment au vilain, le vent devient plus fort et ce n’est plus des gouttes d’eau qui tombent mais une cascade de flotte qui traverse le drap des capotes et les couvre-shakos sensés être imperméables. Le terrain de plus en plus trempé me rappelle la campagne d’Italie et Venise où les rues sont tout l’temps inondées. Le chemin se transforme en ruisseau et va falloir songer à démonter les tentes et d’mettre au sec le matériel.


16H30. Le télégraphiste du coin dont les initiales sont SMS, nous fait transmettre un message dit texto des autorités locales nous ordonnant de calter fissa vers des halles couvertes réquisitionnées pour nous aut’, où nous pourrons installer nos paillasses et se sécher un brin. Tout le matériel et les tentes imprégnées de flotte sont entassés dans le fourgon et le reste à l’abri sous le marché couvert. Dehors c’est le déluge, le Très-haut, fort en colère, doit nous en vouloir de lui avoir amené, à l’improviste, des tas de gens qu’il n’attendait pas en ces premiers jours d’octobre. A un mois près c’était la Toussaint ! Cependant, tous s’installent ça et là au sec.


21H00. C’est l’heure du repas. Pas de clochette c’te fois, elle est dans l’chariot. Mais l’odeur de la popote se répandant dans le périmètre, attire tous les marins vers la cambuse improvisée. Le menu, pour tous cette fois, se compose de : Consommé d’effiloché de porc à la compotée de fruits de la terre, mogettes sauce cuvée du Très-haut, puis estouffade de bœuf à la bourguignonne et sa farandole forestière de haricots verts*.

*Traduction : Couenne de bovin trouvé mort la semaine dernière et sa garniture d’herbes et champignons ramassée aux abords de la bête.

23H00. C’est l’heure de la retraite. Avant de souffler les bougies, le jeune tambour Plan-Plan veut faire du zèle et s’apprête à battre du tambour alors que plusieurs compagnons sont déjà couchés, mais des bruits de chien d’fusil au « clic » si caractéristique se font entendre, qui dissuadent notre jeune virtuose de jouer de la baguette à cette heure tardive de la nuit. Il s’engouffre très vite et en silence dans son sac à viande. On me rapporte que ce début de nuit a été un peu agité, car de nocturnes bruits provenant des paillasses se sont faits entendre, et que dans la pièce d’à côté, plusieurs personnes ont jacassé continuellement. Après renseignement, il semblerait que plusieurs ouvriers- matelots et vous-même, Mon commandant, rassemblés en une sorte de commission spéciale d’intégration, ont fait une causette appuyée à notre nouvelle et jeune cantinière Kanel. Son compagnon Le Cadet présent à cette assemblée, ne put qu’assister impuissant aux différents tests d’aptitudes à entrer dans le grand corps de la Marine impériale. La nuit étant fort avancée et les tests réussis paraît-il, la recrue aurait été considérée apte, entrant dans la lignée de nos camarades féminines Requiem, Sans-Quartier et Pic-Rose. Des références, quoi !



Ouvriers militaires de la marine © Garde Chauvin - Emilie dite Tana




Dimanche 03 octobre 2021


06H00. Il fait nuit noire quand j’ouvre ma tente, car j’ai couché dessous malgré la pluie. Le camp est calme, puisqu’il n’y plus de tente. L'eau dans le broc frissonne sur les braises, ça sent l’café-noisette, mais aussi un je ne sais quoi de malodorant. « Mille putois ! » que j’me dis, c’est mon haleine ! Vite une gorgée d’huile de lampe mélangée à du vinaigre. Redoutable !


07H30. Même opération que la vieille au matin, mais c’te fois sans la patrouille. « Réquisition ! » que j’dis au boulanger qui sursaute en m’voyant. Il bredouille une sorte de gazouillis à peine compréhensible que j’traduis approximativement par : « Oui, oui m’sieur l’militaire, ça vient ! Pitié, pitié, l’est bonne ma brioche, bon pain aussi,… Vive L'Empereur ! ». J’en d’mandais pas tant !


09H00. Le petit déjeuner étant achevé sous les halles, c’est l’heure du rassemblement ! Départ pour la levée des couleurs nationales place de la mairie où le premier adjoint d’la commune nous reçoit avec bienveillance. Il nous félicite pour l’action d’éclat de notre troupe face aux brigands à la solde des Anglais et pour le « nettoyage » des lieux, ne laissant rien apparaitre du combat. Nous avions suivi d’énergiques consignes écologiques : poubelles jaunes pour les effets et armements recyclables, les grises pour le tout-venant, le reste enterré et saupoudré de chaux vive. Le bataillon mixte est passé en revue pendant que les fifres et tambours jouent un air approprié. Petits discours, salutations diverses, remerciements et remise de décorations commémoratives boutées sur l’habit du représentant de la commune d’Aubigny et sur les uniformes des héros du jour, dont vous, Mon commandant, le caporal-tambour Didier dit Rantamplan, le chef de musique Fabien dit Casimir et mon compagnon de route, le canonnier d’marine Jean-Christophe dit Le Brutal. Chacun portant Un biau ruban et je n’sais quoi à bout d’argent ! Comme le chante parfois un breton nommé Pelot, natif du bourg d’Hennebont.


10H00. La petite cérémonie devant la mairie achevée, nous défilons jusqu’au monument aux morts où sont inscrits les noms des victimes des terribles guerres du futur. Glaçant ! Nous déposons une gerbe, rendons les honneurs aux braves et entonnons un chant du départ et une Marseillaise à fendre l’âme d’un guerrier, le tout suivi d’une minute de silence. Le détachement s’en retourne au camp pour y achever le chargement des fourgons. Les chevaux sont attelés et prêts à trotter vers leurs dépôts respectifs.


11H00. La populace ayant sans doute peur des représailles des brigands et Anglais signalés dans les environs, refuse de nous laisser partir, sauf, peut-être les tenanciers de taverne et les commerçants que nous avons réquisitionnés durant notre séjour, mais aussi certaines de leurs dames, voyant partir le souvenir olfactif de leurs amours maritimes éphémères. Las, le marin n’est pas sédentaire et préfère avoir de la compagnie dans chacun des ports où il fait escale. Y a pas d’océan à Aubigny, donc, à une aut’fois ! Prenant prétexte de faire des réquisitions dans des villages voisins, les carrioles et fourgons s’éclipsent discrètement. Les hommes se cachent derrière les palices *, puis se reforment plus loin sur la route. Seul, le commandant reste sur place pour faire un « Au revoir ! » suivant la méthode VGE, avant de disparaitre à bord de son cabriolet tiré par de superbes chevaux blancs.

*Palices : nom déjà évoqué, voir plus haut.

12H30. Le train d’artillerie et les caissons du 3 ème d’artillerie de marine arrivent au dépôt vendéen, c'est-à-dire à trois cabanes et deux tas de fumier plus loin, sur la même commune d’Aubigny. Nous avons conservé un tas de denrées réquisitionnées tantôt, que nous allons tenter de conserver dans des tonneaux de sel, jusqu’au prochain camp. Selon l’état de conservation, elles seront destinées à la popote de la troupe. Pour nous aut’ les canonniers d’marine, nous ferons réquisitions d’aut’ provisions bio neuves.


15H30. Les bêtes sont dételées et mises au pré avec double ration d’avoine, les chariots, avant-trains, caissons et 2 namois + 1 sont rangés sous le hangar près du baraquement. Mon détachement et moi terminons la bouteille de médicament du commandant.


Fin d’mission.


Inventaire Artillerie : réalisé par le Service des Poudres & Salpêtres :

104 cartouches tirées.

21 tirs de canons, aucun incident.



J’voudrai, Mon commandant, qu’vous transmettiez mes remerciements à l'ensemble du bataillon


Veuillez trouver ici, Mon Commandant, la fin d’mon rapport en toute impartialité et sans arrière pensée

d’promotion.
















Fred

Dit Tire Bourre



Bafouille originale : Tire-Bourre.

Modifications, contexte et censure impériale : Lumière-Céleste.

Corrections : La Royale.


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