Inauguration de canons à la Porte Royale
Le 23 septembre de l’an 20
Journal de marche du sergent Tire-Bourre, chef de pièce du 1 er canon, de la 1 ère batterie, de la 1 ère Compagnie, du
1 er bataillon, du 3 ème régiment d’Artillerie de Marine.
Mission du 19 au 20 septembre 2020.
Journées Européennes du Patrimoine
Porte Royale ou Porte de l’Est
LA ROCHELLE
Attribution de deux Namois venus de Nevers
LA ROCHELLE 1810
Vendredi 18 septembre 2020
16 H 30. Dépôt secondaire vendéen de la 1ère compagnie.
Après une semaine de chasse aux toiles d’araignées, de dépoussiérages divers, et de « putain d’bordel, qu’est-ce que j’ai foutu d’ce truc ! », excusez-moi d’ces gros mots, Mon commandant, mais on cause ainsi chez les canonniers d’marine, car on manque un peu d’vocabulaire. Bref ! J’suis fin prêt, mais un peu fébrile. Enfin bon ! L’Vieux, heu… l’Patron, il m’a écrit que dans l’arsenal de La Rochelle, deux Namois* invalides ont été sauvés d’justesse d’un enterrement d’première classe, et connaissant mon empathie pour ces p’tites choses inoffensives, il fallait tenter d’les adopter de toute urgence. Bon, vous m’connaissez, toujours le cœur sur la main (même si c’n’est pas l’mien), je m’dis : « Puisque j’vais m’débarrasser d’une guérite-bureau-SPA-sauna hamann, je devrais avoir assez d’place pour accueillir ces deux innocentes bouches à feu, provisoirement, bien sûr, et peut-être bien d’une façon définitive, si s’parviens à les camoufler ».
*Surnom donné aux canons, quelque soit le calibre et la nationalité, rencontrés au fil des campagnes du Garde Chauvin, arbitrairement considérés « orphelins et abandonnés », donc, lui appartenant de fait.
Le grand demi-train d'artillerie est prêt. Mon détachement se compose du seul canonnier disponible de la compagnie, le 1ère classe Le Brutal qui m’dit qu’il est présent, j’ai vu ! Les ordres sont : « Faire route vers le port de La Rochelle… ! ». Le premier édile de la ville, un maire nommé Garreau, aurait réussi, par je n’sais quel miracle, à faire déterrer deux vieux canons d’marine, de calibre huit, fondu à Nevers en 1809 ». Ces deux bestiaux ferreux semblent avoir été amputés des taurillons et de leur boule de culasse, défectueux à la fonte, ils étaient sans doute destinés à servir de lest dans l’fond d’cale d’un navire. Une fois les chevaux de trait attelés, nous prenons, dès lors, la route de la Charente-Inférieure, vers ce port de La Rochelle où les filles seraient, selon la légende, très belles, mais qu’les corsaires et habitants seraient aujourd’hui, tous masqués. Si c’est pour s’protéger des filles du port, c’n’est pas un masque qu’il faut ! Le bruit court, chez les marins, qu’il y aurait, dans les troquets glauques du coin, deux spécimens de cette gent du diable, Lulu La Nantaise connue pour son eau d’vie brutale à… la pomme, entre autres ingrédients, et l’autre dite La Covid. Glaçant tout ça ! J’préfère encore pourrir sur l’île de Cabrera que d’chopper d’ces virus là.
18 H 35. Porte de l’Est, dite Royale.
Nous voilà devant cette grande porte au-dessus de laquelle sont gravées trois fleurs de lys (qu’il nous faudra, tantôt, marteler). Nous, l’élite de la crème-du-meilleur-du-haut-du-panier, bivouaquerons sur le coté Est des remparts à proximité de la porte. Oui mais, j'ai beau chercher, point d'herbage à l'horizon, que du bon pavé en grès et encore très peu. Une espèce de bâtisse, pleine de fenêtres, appartenant sans doute à un riche armateur, prend toute la place de not’ futur pré carré. Mais l'artilleur est prévoyant, des pointes forgées remplaceront nos sardines en bois de chêne. D’autre part, l'artilleur est généreux, voire partageur, donc, comme le dira plus tard un général nommé Mac-Mahon : « J'y suis, j'y reste ! ». Les autres biffins et matelots de la plèbe logeront, bien à l’abri, dans la salle d’armes. Pour sûr, on n’mélange pas les torchons propres et les serviettes sales. Dans c’t’univers, il y a l'Artillerie d’un côté et la piétaille de l’autre. Tout comme il y a les Vendéens et le reste du monde... Sauf vot’ respect, Mon Commandant, vous, c’n’est pas pareil, on vous considère comme un pur Vendéen de souche et… un grand et universel guerrier. Pour sûr, hum… !
Nous montons notre bivouac avec délicatesse, sous le doux bruit des coups de masses. Tentes, auvent, grande table, brasero d’campagne, et not’ petite « guérite-surprise ». A peine fini, not’ vieux commandant débarque avec des symptômes Covidien-Sarssois. Fort heureusement l’artilleur est aussi apothicaire et possède toujours du médicament ice-tea à bonne température. L’patient galonné, vite traité, s’en retourne à son bureau. Cependant, il me conseille de planquer au loin les bêtes de mon attelage, car la « Terreur des padoques français et d’ailleurs », dite La Garouille, est là. L’bouffeur de salades d’oreilles d’équidés souffre à sa façon, surtout du manque de sorties, bon j’dis ça et j’dis rien, mais j’trouve quand même « concomitant » (et oui c’n’est pas faux !), not’ situation bien malheureuse en ces temps difficiles. Bref ! J’planque les chevaux hors de la vue du « croquant ».
19 H 20. C’est l’heure du souper du soir.
Sur not’ campement, popote façon canonnier d’campagne. En effet, comme vous le savez, l’artilleur de marine est fin gourmet. J’mets en place ma grande table (Covid oblige !) et inscris, à la craie, sur mon tableau noir,
l’menu d’campagne du jour : Estafilade de salaison porcino-aviaire, suivi d’une salade de gésiers et foies d’volailles confits, accompagnée de lardons frits, déglacés au vinaigre balsamique, le tout agrémenté de tomates cerises et petits croutons frottés à l’ail, et pour finir, une farandole de fromages de caractère. Je sais, l’artilleur de marine sait faire preuve de retenue et de modestie. Le coq-cambusier du détachement prépare pour le reste de la troupe : Ecartelé de poulets rôtis en brûlot, effiloché d’haricots verts en boîte assaisonnés à la poudre noire, et pommes à cochons… bien fait !
22 H 30. Extinction des feux.
L’est temps d’aller reposer ses yeux et son corps. J’enfonce mon bonnet de nuit, souffle la bougie et « dodo ». Ma main tient toujours, par reflexe, la laisse de mon Namoi qui sommeille tranquillement à l’extérieur de ma tente.
22 H 35. Premier primo-sommeil.
Mes paupières se font lourdes, lorsqu’un drôle d’oiseau de nuit vient se frotter à ma tente. J’m’apprête à tordre le cou dudit volatile nuisible, quand j’vois un mot sur lequel est écrit : « Une demie heure que j’tourne autour de d’vote tente ! Stop ! Je n’trouve pas de place ! Stop ! Comment j’fais ? Stop ! ». Signé : Caporal-Fourrier Requiem D'Eon. J’réponds, aussi sec : « Y a qu’des places réservées ici. Sont pour nous aut’ canonniers. Signé : Ta Goule, grosse buse ! ». (La buse étant la volaille à qui est destiné ce message !).
23 H 00. Deuxième secundo-sommeil.
Décidément mes paupières sont de nouveau en service actif. J’entends dehors des murmures, c’est l’commandant qui fait visiter, en catimini, La ou Sa future "guérite" qui n'a pas été encore inaugurée officiellement. Ils chuchotent des « chut, ils dorment ! ». « T'as raison Léon, que j’pense ! ». J’porte une main sur mon sabre, l'autre à la poignée d’mon fusil et la dernière à des grenades. Toujours prêt l’sergent canonnier « à renvoyer à la maison mère..., au terminus des prétentieux..., les gugusses de Montauban !* ». Oui, l'artilleur est non seulement cinéphile, mais aussi serviable. Après avoir fait l’tour de la cabane, les visiteurs du soir s’en retournent dans la pénombre. J’me décide à ne fermer qu’une seule paupière, on n’sait jamais !
*Phrase mythique prise dans les Tontons flingueurs.
23 H 45. Troisième merdo-sommeil
J’esgourde comme une sorte de combat au corps à corps au bas des remparts. Qu’est-ce donc que ce bruit ? Une incursion angloise de type « After de retour d’Almeida *», soit prussienne du général Kanter « Retraite de Mouillepied* », peut-être bien du généralissime espagnol Toxico « Campagne d’Espagne* ». On entend des petits cris, des hurlements étouffés, des lamentations, voire des gémissements, le tout confondu avec des craquements de branchages, et des bruissements de feuillages. J’me dis qu’not’ sentinelle doit morfler dur contre ces nuisibles ennemis. Etant sergent, j’tente de réveiller ma troupe, soit mon seul canonnier disponible Le Brutal, pour qu’il fasse une vaillante reconnaissance dans les fossés. Ce dernier qui dormait comme un loir et ronflait comme un hussard Rochambeau, me répond par un grognement et s’en r’ tourne au pays des songes. Prenant mon courage à deux mains, car l’artilleur de marine est par principe un « Bayard sans peur et sans reproche », j’ tente une subtile sortie sur le ventre de type vipèrien, et je jette un œil vers le combat nocturne. En fait, j’vois une de ces drôlesses du port de La Rochelle, faire leurs affaires à plusieurs pâles individus qui ne tardent pas à filer à l’anglaise, une fois la chose conclue. Quelle époque ! Le silence revenu, j’ordonne à mon autre paupière de se fermer jusqu’aux aurores. Tout cela a échauffé mes sens et j’enlace amoureusement mon fusil comme si c’était une charmante cantinière vendéenne. Bref ! Tiens, il tombe des gouttes, … commence à pleuvoir, ça promet !
*Voir les précédents rapports.
Samedi 19 septembre 2020. Réveil et Diane.
6 H 00. Debout la d’dans !
La nuit fut courte, l’aube tarde à se lever, car il fait encore sombre. Fatigué de tant de bruits nocturnes, voire nuisibles, j’file vite dehors pour voir si des corps jonchent les abords de la porte, mais là, rien !
Cette vile et noctambule engeance s’est retirée sans laisser de trace, il ne sera pas facile de raconter tout ça aux gars chargés de bromure. Ils prendront mes paroles pour des fariboles, et pourtant c’est la vérité vraie, ces mécréants, ces emplâtrés, ces bachibouzouk*, étaient bien présents c’te nuit. J’peux l’jurer !
*voir liste complète en fin de rapport.
Oh ! Zut alors ! Ma caisse de bois sec est remplie de flotte. « Ah ! Les salaupios ! ». Quoiqu’en y repensant, c'est peut-être moi qui ai oublié d’la mettre à l'abri des intempéries. Bon, j’dirais quand même au Brutal que ce sont eux les coupables !
6 H 30. Préparation du petit déjeuner.
C’est not’ commandant qui ouvre en premier la petite porte de la grande porte. Ces cheveux sont hirsutes et il a de petits yeux. Lui aussi a subi plusieurs noctambules bruits. En fait, sa chambre et son bureau sont proches du cabinet d’aisance du site, dit « chiotte », et dès lors, à chaque et fréquente visite nocturne, la lumière s’allume et là, tous les bruits suspects intimes se font entendre, amplifiés par l’écho du vaste monument, du déshabillage, au glouglou, au prout-prout, au plouf-plouf, au frout-frout du PQ, avec plus ou moins de chuchotements et bâillements, s’achevant par le terrible son d’une bruyante chasse d’eau. « Le bruit et les odeurs » comme le disait, en son temps, un type nommé Chirac, ça vous fout une nuit d’chef en l’air. Il se réchauffe tout près du braséro et prend un café noisette bienvenu, car il fait un peu frais ce matin.
9 H 00. Service, service I.
Mise en place de la « guérite » ou bureau secondaire du commandant, à ne pas confondre avec « le deuxième bureau des services secrets impériaux ». Inauguration par le commandant, sous forme d’un isolement temporaire en ce lieu saint, dont le siège n’est autre qu’un drapeau anglais. Il en ressort soulagé d’abord, puis satisfait que ses plans et directives aient été respectés. On se venge de Trafalgar et de Waterloo comme on peut !
9 H 30. Service, service II
L’estafette du caporal La Plume me demande des cartouches. Réponse immédiate : « Pas d’cartouche sans ordre écrit du commandant ! ». Réponse du quémandeur : « Ah, bon ! ».
9 H 35. Service, service III.
Retour fissa de l'estafette avec, cette fois, un billet du commandant, en bonne et due forme, ordonnant la remise de cartouches pour le rassemblement de la troupe prévue à 9 H 50. J’y donne !
10 H 00. Défilé dans le centre ville.
Le détachement d’ouvriers et de matelots se prépare pour le défilé en ville, mais sans nous aut’ les canonniers. Nous sommes affectés à la garde du camp et de la porte. J'en profite pour vérifier le dépôt de poudre. Aaaah ! Horreur, terrible drame, des cartouches, certes il y en a, mais pas d’poudre pour les gargousses, quid de celles que j’vais donner à manger à mon Namoi à moi ? Heureusement, sainte Barbe qui nous protège et saint Antoine le retrouveur, me font découvrir trois gargousses du modèle 2019, prêtes à l’emploi. Je trouve aussi deux bâtons de deux C7H5N3O6 → 3 N2 + 5 H2 + 12 CO + 2 C, bêtement appeler TNT, abréviation de : Tout Nettoyer Totalement.
12 H 00. Déjeuner.
Je commence la préparation de notre maigrichonne pitance du jour, soit : Assortiment de cochonnailles porcines avec pommes de terre au sel de Guérande, puis, petite tourte Lorraine, suivie d'un émincé de volaille (faut bien bouffer la buse d'hier) à la dijonnaise, et son riz pilaf. Chariot d’odorants fromages, pour finir. Nous invitons notre cher commandant à partager notre frugale pitance. Ce qu’il accepte avec bonté.
14 H 00. Service, service IV.
Fin du mangé. Café, pousse-café et dix-de-der. Reprise des différentes activités sur le camp. Préparation de la pièce, repérage de cibles possibles en cas d’attaque de l’extérieur. Garde du site.
16 H 30. Rassemblement.
Toute la garnison doit se rassembler hors de la Porte Royale, prête à la traverser, fifres et tambours en tête. Les citoyens de la bonne ville de La Rochelle se pressent pour voir les fières troupes de marine défiler. Les autorités civiles et militaires locales (D’hier et d’aujourd’hui) sont présentes. C’est, pour moi, l’début de la cérémonie pour la perception de deux nouveaux Namois. J'arrive sur les lieux avec un mélange de sentiments de joie, de solennité et d’honneur. Et là, la brisure, le haut-le-cœur, voire une rage interne sans nom. Ils sont là, gisants, inertes, sous un linceul tricolore, déposés sur de simples stèles en béton funéraire sans roue, censés représenter d’augustes affûts de chêne peints en rouge. Ils sont là, nappés d'un gris souris au lieu de noir, qui ne masque pas les traces de leur enfouissement contraint. J'ai mal, oui, j’ai mal, mais je reste digne face à la tâche honorifique qui va bientôt m'incomber.
17 H 15. Prise d’armes et discours du maire M. Garreau en compagnie de différents personnages dont le directeur d’artillerie, un commandant nommé Aly. On m'avait prévenu qu’il y aurait un petit discours ne dépassant pas les cinq minutes, mais déjà l’quart d'heure est passé. Ce maire est bavard, il brode son propre éloge. On lui pardonne car il déteste les royalistes, mais enfin…
17 H 45. Suite.
Merci ! Oh ! Etre suprême, la causette arrive à son terme, et, je pleure (en dedans), sachant que ces deux Namois de canons resteront, pour l'éternité, sur l'esplanade de la Porte Royale, posés sur leur pierre tombale. J’aurais tant voulu les adopter. NAN ! Je n’suis pas en colère... c’est au-delà de ça ! D'ailleurs, ce maire va aussi connaitre son au-delà. Mais l'artilleur de marine est magnanime, pas rancunier pour deux sous, non dénué d'une certaine retenue, peut-être même de clémence envers ce...*
* Voir liste en fin de rapport.
18 H 00. Premier essai de tirs depuis 1809.
Nous décidons Le Brutal et moi-même, son glorieux chef, d'abréger les souffrances de ces deux pauvres spectres de Namois. Mais, tout d’abord, nous allons tenter, tel le chirurgien Larret, de leur redonner vie. Hélas, nous ne possédons pas de défibrillateur pour faire un choc à leur petit cœur éteint, mais l’artilleur de marine est un peu docteur, même s’il retire plus facilement la vie de ses semblables, il sait aussi les ressusciter en buvant un canon. Nous glissons délicatement un pain de TNT dans chaque bouche et les allumons avec les boutefeux. Nos larmes coulent sur nos mâles joues, car, l'artilleur est aussi émotif. « Foutre Dieu ! ». Rien ne nous sera épargné, car les charges font un petit pffft ! « Sabotage que j’pense ! L’Anglois n’est pas loin ! ». La perfide Albion a ses espions dans c’port protestant. Tant pis ! J’ boufferai des fayots et j’me vengerai sur la lunette de la guérite... Tayoooo ! Et là, mon regard plein de bienveillance haineuse se pose sur le maire, j’crois qu’il est foutu, que j’me dis.
18 H 30. Dernier essai de tire depuis 1809.
L’artilleur de marine est aussi têtu, nous recommençons une salve d'honneur pour ces pauv’ Namois perdus. Mais, alors que je m'apprête à effectuer le dernier tir, je stoppe la manœuvre et hèle un gendarme maritime présent, lui ordonnant d'arrêter manu militari le maire. Pour le double motif de nous avoir fait poireauter une heure et surtout, ne pas avoir porté assistance à Namois-en-danger. Ce triste sire m'est amené sous bonne garde. Là, je l’oblige à tirer, sans doute, son seul et dernier coup. Tradition oblige, il est aussitôt badigeonné de noir de canon de la tête aux pieds, puis confié à titre gracieux, aux bons soins d'un armateur de traite. En effet, l'artilleur de marine n'est pas chafouin, mais faut pas toucher aux Namois, surtout handicapés.
19 H 30 Tambouille du soir.
Comme à midi, en toute modestie culinaire, nous nous contentons de simples mets : Petite cochonnaille tranchée, mogettes de Vendée au chorizo fort d’Hispanie, accompagnées de saucisses toulousaines fumées (au bois de hêtre), plateau de fromages pyrénéens de caractère, et enfin crêpes façon Tatin, caramélisées aux pommes recouvertes de Chantilly en neige. Par courtoisie réglementaire, nous ajoutons un couvert destiné à un invité de marque, vous-même, Mon Commandant. Par l’odeur alléchée, plusieurs intrus tentent de s’infiltrer dans le périmètre attribué à l’artillerie. Mais, l’artilleur de marine sait être humain. J’ai donc balancé quelques tranchettes de cochonnaille (avec la peau) sur le sol du camp, mais le plus loin possible, afin d’attirer l’museau affamé des aut’ soldats de marine. Cependant, not’ humanité a quand même des limites, car si on laissait ces pauv’ gens de mer s’approcher, ils en viendraient chiper vos quignons d’pain sur la table. Trop habitués à ingurgiter, sur les rafiots impériaux, des fayots pourris et du lard rance, le rata des artilleurs les rendrait, pour sûr, malades. Le temps qu’ces mouettes picorent les restes de cochonnaille, nous finissons fissa nos assiettes. C’est alors qu’une autre partie de la troupe se pointe. Mon commandant ne voulant pas de dessert (diabète oblige), j’organise un concours entre ces goules-benèzes pour déterminer qui aura la chance d’engouffrer ces miettes de crêpes. Plus souple et plus fort que les aut’ affamés, c'est l'ouvrier Mieux-Vaut-Tard qui gagne l’honneur de déguster les restes du délicieux dessert. Réjoui, il me regarde avec avidité au cas où, mais j’n’ai plus rien à offrir. Je lui souhaite le bonsoir, mais ses compagnons maris, ayant les crocs comme des baïonnettes, le voyant se pourlécher les doigts, envisagent de lui faire son affaire. Le gourmant file ventre à terre, à l’anglaise dans la pénombre, poursuivi par ces loups aux ventres rouges (ceintures de flanelle).
23 H 30. Retraite ou dodo.
Je retrouve mon lit de camp près de celui de mon compagnon Le Brutal, qui s’enfonce déjà dans un profond sommeil, grommelant et gémissant, le pouce engouffré profondément dans sa bouche.
Dehors, tout en bas des remparts, recommence le même manège que la veille au soir. Cette fois, la sentinelle n’a rien à voir avec les bruissements de feuillages. J’tire, par réflexe, sur le lien qui retient mon Namoi à moi, on n’sait jamais.
Dimanche 20 septembre 2020.
06 H 00. Diane et Réveil.
L'eau du café frémit sur les braises rougies du braséro, ça sent la noisette. L’aube se lève, une légère brise de mer fait bouger mon auvent. Eh oui, l’artilleur de marine sait être poète à ses heures. Je prépare le petit déjeuner pour mon détachement.
09 H 30. Rassemblement.
Le commandant donne ses instructions pour la journée : « On fait comme d’habitude, mais en mieux ! ».
13 H 00 C’est l’heure de la popote du midi.
Repas chaud pour les canonniers d’marine qui ont invité leur fier et honorable commandant, au grand dam du cambusier La Garouille, qui rage de voir le Patron encore absent de la tablée générale. Le petit braséro de campagne possédant encore des braises incandescentes, j’y prépare dessus un frugale repas d’canonnier, composé de : Petits pâtés lorrain en entrée, bœuf bourguignon (pour honorer M. Laurent Augustin Pelletier de Chambure) et pâtes fraîches en plat de résistance, fromages divers, et enfin le dessert composé de bananes antillaises braisées et blanchies à la chantilly. Tous les aut’ matelots étant contraints de manger froid les restes de la veille, l’fourneau du cambusier étant éteint. Là encore, l’artilleur de marine sait faire preuve de pitié envers ses compagnons d’infortune. Je m’dis que j’vais offrir à ces braves, les reliefs de notre déjeuner de midi. A peine arrivé à la porte de la salle d’armes servant de réfectoire, je subis un assaut en règle, tous les vautours-marins présents sautent avidement sur mes gamelles. Je m'en sors de justesse, car j’ai senti, qu’on allait me bouloter la main qui tenait la poêle, hélas, la casserole s’est envolée et a été considérée « disparue ». J’vais quand même faire un état de perte.
14 H 00 Reprise des activités pour l’artillerie.
Nous commençons à dépointer not’ camps et rassembler nos affaires.
15 H 30. Activités du tantôt.
Je remarque du coin d'œil le retour en grâce du maire, sans doute sauvé par les gentillesses de sa dame. Mais je ne suis pas fait d’ce bois là. Et devinez à qui il reste une gargousse dans son caisson? Pas besoin d'obsèques pour enterrer un chapeau à plumes tricolores brulées au-dessus.
16 H 30. Démontage du camp.
Le camp est démonté progressivement. C’est l’effervescence sous la Porte Royale. Pliage des lits de camp, empilement des paillasses, rassemblement des coffres et des armes. Les chariots du train des équipages sont alignés devant la grande grille du porche. La population curieuse et la gent féminine rôdent aux abords. Not’ commandant me fait part des ses inquiétudes quant au chargement de la « guérite » dans son chariot, qui était déjà bien rempli à l’aller, du matériel nécessaire au service. Mais l’artilleur de marine est organisé, c’est là son moindre défaut. Prenant les choses en main, j’mets moins de dix minutes, pour entasser tout le matériel, « guérite » comprise, dans le chariot, il reste même de la place pour du superflu.
Pour ce qui est de l’artillerie, mon Namoi-à-moi, bien sanglé, est attelé, hélas tout seul. Je ne puis emporter les deux bouches à feu rochelaises, qui semblent gémir, à l’approche du départ de celui qui aurait pu devenir leur maître. J’dépose un baiser et fais une caresse d’adieux sur la gueule de ces deux honorables canons de 1809. J’détourne mon regard pour qu’ils ne voient pas les larmes couler sur mes mâles et piquantes joues. « Adieu mes p’tits, que j’pense ! ». Mes lourds canassons de l’avant-train sont prêts. Mon détachement, c'est-à-dire, mon canonnier Le Brutal, s’installe près de moi. Un coup sec du fouet et un huuu sonore font vibrer l’attelage, puis nous reprenons la route du nord, au doux son des fers des chevaux « clip-clop » sur le macadam charentais, qui nous mènent à notre dépôt vendéen. Fin de l’aventure rochelaise.
Inventaire Artillerie : réalisé par les commis du service des poudres & salpêtres (Dépôt de La Rochelle).
25 cartouches tirées.
3 tirs de canons, aucun incident.
1 maire vendu à un riche planteur de coton en Louisiane.
1 maire (le même) pulvérisé et éparpillé façon puzzle.
Sergent Fred
Dit Tire Bourre
Surnoms donnés au maire selon un type nommé R.G.
*Bachi-bouzouk, Mille millions de mille sabords, Bougres de faux jetons à la sauce tartare, Coloquinte à la graisse de hérisson, spèce de mérinos mal peignés, Cyrano à quatre pattes, Zouave interplanétaire, Ectoplasme à roulettes, Bougre d’extrait de cornichon, Jus de poubelle, espèce de porc-épic mal embouché, Patagon de zoulous, Loup-garou à la graisse de renoncule, amiral de bateau-lavoir, bayadère de carnaval, bougres d’extrait de crétins des Alpes, espèce de chouette mal empaillée, macchabée d'eau de vaisselle, astronaute d'eau douce, bulldozer à réaction, simili-martien à la graisse de cabestan, concentré de moules à gaufres, espèce de mitrailleur à bavette, tchouck-tchouck-nougat, garde-côtes à la mie de pain, papou des Carpates, sombre oryctérope, traîne-potence…
Texte original : Tire Bourre.
Transformations et censures impériales : Lumière Céleste
Corrections : La Royale
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