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Une bataille pleine de rebondissements

Journal de marche du sergent Tire-Bourre



Chef de pièce du 1er canon, de la 1ère Batterie, de la 1ère Compagnie, du 1er Bataillon du 3ème Régiment d’Artillerie de Marine.



Le 28 août de l’an 19


Rapport du 3ème Régiment d’artillerie de marine pour la 13ème Campagne du Portugal et 10ème siège d’Almeida du 23 au 25 août de l’an19.



ALMEIDA


photographie © HistoArts



Jeudi 22 août. Dépôt vendéen de la 1ère Cie du 3ème Régiment d’artillerie de marine.


16 H 00. Rassemblement de l’élite des troupes impériales, je parle bien sûr de notre régiment au grand arsenal de Napoléon-Vendée Sud, (sis 2ème vicinale à droite, 4ème Sommières à gauche et 3ème cabane avec une lune découpée sur la porte), tout ça pour organiser un convoyage collectif de plusieurs personnes partant ensemble. Le télégraphe Chappe signale, en message codé, qu’il faut nous rendre sans tarder au Portugal, rejoindre le corps du maréchal Masséna. Mais que je n’dois point emporter mes doux canons et qu’on m’en prêtera d’autres là-bas. Sur ce, les gazettes impériales du jour, nous signalent également un rassemblement de l’élite internationale des Grands du monde soi-disant civilisés (G7, qu’ils appellent ça !), accompagnés de leurs nombreuses suites. Y paraîtrait qu’ils ont souhaité se rencontrer à la frontière franco-espagnole, pour s’autoriser à penser et faire la bamboche tout en s’engouffrant des tranches de jambon d’pays et du vin d’Bordeaux. Le tout protégé par un corps de 12 000 policiers et gendarmes pris dans tout l’pays au frais du trésor impérial donc de nos impôts. La citadelle de Biarritz et sa région sont désormais interdites à tout pékin non autorisé. La patrie étant en danger, car la perfide Albion guette, il nous faut garder toutes les frontières de l’Empire, du Portugal jusqu’au fin fond de l’Allemagne, puisqu’il n’y a plus d’gendarmes disponibles. Je reste triste à la pensée d’abandonner, une fois de plus, mes namois de canons apprivoisés. Comment voulez-vous qu’un canon boooumant le lusitanien comprenne mon dialecte vendéen ?

C'est maintenant le train d’artillerie du canonnier Le Brutal qui franchit le « pont-levis » surplombant les « douves » du dépôt vendéen de votre serviteur. Les médisants du village d’à côté disent qu’il s’agit de planches posées au-dessus d’une flaque de lisier. Ce sont là des jaloux, des mauvaises langues, que j’vous dis. Il faudrait tous les raccourcir à la trancheuse révolutionnaire. Peu de temps après, arrive le brave sergent légionnaire La Gabelle des Sables. Les salutations d’usage faites, le charroi chargé, les mules attelées et prêtes, nous nous élançons trottinant vaillamment vers le dépôt d’Echillais en Charente Inférieure, siège du bataillon mixte de marine.



19 H 00. Nous arrivons devant la grille de la grande demeure à colonnade, d’où on aperçoit encore les travaux réalisés dans les douves qui viennent d'être curées*. Là, c’est l’effervescence. Les troupes, les estafettes, les gardes, les cantinières, tous s'agitent en tous sens. Dehors, les chevaux piaffent d’impatience. Entrant dans un long vestibule, c’est tout au bout que nous trouvons enfin le Vieux, ou plutôt not’ commandant, alors que nous errions dans les couloirs, pièces, et escaliers de cette vaste et belle demeure.

Nous le saluons respectueusement et me reconnaissant, il fouille ses poches et me remet un papier froissé sur lequel sont inscrits des ordres simples, que même un second maître de flottille pourrait comprendre : "On fait comme d'habitude, vu !".

*En fait, il s’agit de tranchée d’une canalisation d’eau usée qui a été réparée.


Au détour d'une porte dérobée, gisant sur une paillasse la tête posée sur un havresac, je crois reconnaître mon artilleur/armurier Long-Feu. Huit mois que je ne l'avais pas vu le gaillard. Je l’croyais mort et enterré six pieds sous terre sur le champ d’honneur. Tout net, il me dit : « Mais où est la sortie ? ». Ce fut là ses premiers mots en presqu’un an. Le pauv’, il s'était perdu dans le labyrinthe qu’est cette immense maison. Puis, nous recroisons not’ commandant qui cherche désespérément madame Corinne, sa compagne, surnommée La Tuile (pour les intimes), sinon c’est quatre jours d’corvées pour les autres. Il y a aussi des : « Mais bon dieu, elle est oùùù ? » des : « Corinnne, Corinnneuuu, t’es où, b….. ? L’charroi va s’barrer sans toi, m…. alors ! ». Puis il sort et beugle dans tout l’bourg les mêmes mots plus ou moins fleuris.



21 H 00. Tout le bataillon de marche est rassemblé sur l’esplanade. Il y a là des voltigeurs du 79ème de ligne, la clique de l’arsenal de Rochefort avec ses fifres et tambours, des ouvriers militaires de la marine, des matelots de flottille, des administratifs et enfin les cantinières, toutes sauf une : La Tuile ! Nous retrouvons le grand maître conducteur du train des équipages* qui dirigera notre convoi d’élite avec ses 600 bêtes sous l’capot. L’cambusier La Garouille a la salive dégoulinante à la commissure des lèvres, et les yeux qui scintillent de bonheur. Il commence à nouer, autour de son cou, une serviette à petits carreaux rouges et blancs. « Bon sang ! » que j’me dis, on n’est pas arrivé à la citadelle lusitanienne d’Almeida. C’est alors que le Vieux, cherchant toujours sa moitié, le remarque et lui hurle en passant, une phrase du genre : « Ca va pas r’ commencer, hein ! Tu montes dans l’chariot ou c’est d’la morue salée qu’tu vas bouffer durant un mois, voire même, accompagnée de 12 pruneaux dans l’buffet, vu ! ». Sitôt entendu la menace du chef, l’cambusier disparaît aussi sec dans l’charroi sans d’mander son reste.

*Le chauffeur du bus.


C’est alors que l’attendue compagne du commandant arrive avec une aide cantinière. Après quelques mots d’usages « tendres » vu les circonstances, elles rejoignent la troupe dans le chariot de tête. Le convoi s’ébranle et va rejoindre la grand’route de Saintes et plus loin Bordeaux où nous récupérons un détachement. Le prochain arrêt est le relai de poste de Bidard, où nous arrivons vers 2 h du matin. Le dernier détachement se tasse dans le convoi qui se dirige vers la frontière où de nombreux gendarmes franco-espagnols devraient nous contrôler. Que nenni ! Nous passons sans problème les barrages routiers couverts de chevaux de frise, sans doute du fait que nous sommes des militaires en transit.



Vendredi 23 août


9 H 00. La nuit fut calme et sereine, bercée au rythme du trottement des chevaux et des scènes Audiariennes jouées par d’excellents comédiens d’un autre temps, dont une phrase célèbre résonne encore à mon oreille « C’est curieux chez les marins ce besoin d’faire des phrases… ! ». Toutes les auberges espagnoles rencontrées sur la route sont fermées. Ca promet ! La guérilla les aurait-elle informées de notre passage ? « Trahison ! », qu’on s’dit. Où va-t-on poser culotte et boire du café chaud ? Nous faisons quelques haltes obligatoires en pleine nature, sous bonne garde. Laissant ça et là quelques mines « anti personnels » à retardement pour ceux qui nous suivent. Après avoir traversé les montagnes abruptes puis les immenses plaines désertiques ibériques, nous passons la frontière portugaise de bon matin. Les champs alentours sont toujours grillés par le soleil et le paysage semble manquer d’eau. Après avoir parcouru quelques kilomètres, nous apercevons enfin dans le lointain le clocher, puis les remparts de la citadelle d’Almeida que le corps de Masséna occupe. Nous arrivons à destination devant la caserne qui se situe dans le village à un quart de lieue de la citadelle. Un détachement de notre troupe va y coucher. Mais là, pas de sentinelle à la porte, aucun planton aux alentours, et surtout, le grand portail est verrouillé. Méfiance ! Not’ commandant, prenant son courage à deux mains, décide d’aller à la citadelle pour informer le chef militaire de la place, de notre arrivée.

Les formalités faites, il revient, toujours à pied, alors que le planton a, depuis un moment, ouvert la grille de la caserne. Déchargement d’une partie du charroi pour ceux qui restent, car un autre couchera en bivouac dans un bastion de la citadelle.


12 H 00. « Cerveja lemon ! » que j’pense en… latin (?), ce qui voudrait normalement signifier qu’on a soif et faim aussi. Nous réquisitionnons une taverne locale. Le tenancier fort agréable d'ailleurs, semble vouloir nous neutraliser le duodénum avec un gargantuesque repas. Gare à l’indigestion alimentaire, piège fréquent dans c’pays ennemi de la France. Un adepte sans doute du tonneau des Danaïdes dans lequel moult compatriotes sont tombés, sans jamais revenir. Prudents, nous ne finissons pas nos assiettes, car nous avons une relève de garde à effectuer sur le camp.



16 H 45. Nous sommes parés de nos plus beaux atours (grande tenue), prêts à partir, mais il faut attendre les ordres. Nous patientons... encore... encore... encore... et puis : « Merde ! » dit le sergent en premier La Gabelle, « Allons-y ! ». Nous marchons dans une rue pavée montante en direction de la mairie, quand au bout de 100 m nous croisons un détachement portugais qui descend la même rue, venant de l’hôtel de ville, après avoir monté les couleurs des quatre nations belligérantes. « Crotte, zut, flute !* » qu’on se dit ! Ca commence bien ! Mais que voit-on juste derrière les troupes portugaises ? Nos compagnons voltigeurs de 79ème RI... avec Notre drapeau en tête. L’honneur de la marine est sauf, mais je ne puis m’empêcher de prononcer ces mots simples :

*Pardon au lecteur pour ces terribles injures.


Le reste de l’après-midi est consacré au rangement du camp et promenades dans les ruelles de la citadelle, encombrées de troupes diverses et de charmantes personnes, qu’il nous faudra bien assiéger plus tard.



18 H 45. Nous sommes rassemblés sur l’esplanade du camp, toujours parés de nos plus atours comme des paons, prêts à partir.

18 H 50. Nous sommes toujours en place et maintenant on attend les autres. Puis, comme pour l’arrivée du Tiercé, dans not’grand et beau pays, ce sont des écosso-espagnols qui sont en tête dans le dernier virage de la porte d’Auteuil (comme dirait l’autre !), suivi de très prés par les Portugais à la corde, qui eux mêmes sont talonnés par les fifres et tambours d’Aunis Saintonge. Donc, pour gagner le Quinté final, il fallait jouer : le n° 1 Français, n° 2 Ispano-écossais ou écosso-espagnols, n° 3 Portugais, n° 4 Fifres et tambours, et le 5e (non partant), not' bon commandant, sortant du diable vauvert.

Nous défilons jusqu’à la mairie où toutes les troupes belligérantes sont rassemblées. Descente des couleurs au son des hymnes nationaux joués par nos virtuoses fifres et tambours, dont une Marseillaise chantée à tue-tête, à vous faire fondre en larme. Puis retour au bivouac au pas accéléré, car on a les crocs à bouffer le cuir de nos godasses !



20 H 00. Repas. Nous sommes invités par les autochtones à souper sous des toiles d’un marché lui aussi couvert. Nos gars se répartissent là où ils trouvent des bancs pour s’assoir. Not’ commandant est présent, toujours accompagné de sa moitié, qui surveille du coin de l’œil toute les donzelles du bled qui pourraient porter leurs regards de braise sur le corps d’athlète grec ou plutôt les épaulettes dorées d’officier supérieur de son compagnon.



20 H 30. Après le repas, je file avec mes gars relever les sentinelles, sur not’ bivouac plongé dans la pénombre.



00 H 00. Presque tous les marins sont rentrés au bercail. Il est temps d’aller dormir un brin dans la paille. Disons qu’on met la « viande dans le torchon » ! Le canonnier de marine n’est pas un couche-tard !



Samedi 24 août


7 H 00 (ou presque). La nuit fut calme et douce. Aucune attaque nocturne menée par ces maudites troupes angloises du générale After (voir rapport 2018). Etirements, épouillage et débarbouillage, mais…, oui mais ! C'est quand même calme, trop calme à mon goût. J‘regarde ma montre à gousset et : « Saloperie de p’tite vérole de fuseaux horaires anglois ! ». Que j’me dis. Il n’est pas 7, mais 6 heures du matin, heure portugaise. Le pis dans tout ça, je n’ai pas d’café noisette pour me réchauffer.



7 H 30 (donc heure locale !). Petit déjeuner au troquet du coin, pendant que plusieurs camarades filent à pied ou en carriole, vers la cambuse interarmes du casernement, au-delà de la citadelle.



9 H 00. Rendez-vous au dépôt d’artillerie pour récupérer la quantité de poudre que l’on nous attribue. 16 kg me sont confiés contre reçu. Bizarrement, le caporal armurier Long-feu me voyant partir à tout allure, hurle : "Eh, oh, on partage, chef !". Il est marrant lui ! On partage, on partage, et tous ces petits Namois seuls, abandonnés sans personne pour leur donner leur dose de poudre par la bouche, hein... ! Personne n'y pense à ses pauv’bronzes esseulés depuis deux siècles au moins ! Ben, apparemment non ! Des ouvriers et matelots sont réquisitionnés pour confectionner 1200 cartouches dont les étuis avaient déjà été préparés à l’avance (un grand merci au quartier maître Campiston pour sa participation). Au remplissage des cartouches, six hommes sont présents, dont certains du 79ème RI, les matelots Sans Quartier, les trois de la famille Lune, l’ouvrier Le Cadet sur-surnommé aussi Pomme ou sur-sur-surnommé A.R.C. pour Alcoolique-Re-Connu, Allez donc savoir pourquoi ? Puis le conscrit Foscar, le caporal Long-Feu, le canonnier Le Brutal et moi-même, le chef, sergent de mon état.



12 H 00. Rassemblement. Déplacement vers la mairie et levée des couleurs nationales selon le même protocole que d’habitude. Le quartier maître La Garouille est chargé de s’occuper de notre drapeau tricolore. Not’ commandant préfère l’avoir avec nous plutôt que de le laisser rôder près des écuries.



12 H 30. Repas des troupes au quartier interarmes de la caserne d’en bas.



13 H 00. Soupe ingurgitée, il est temps d’aller relever les compagnons à la garde du camp. Nous prenons la carriole/navette de service, dont le coche baragouine un peu l’français.

16 H 00. Au camp, tout le monde se repose enfin à l’ombre des tentes, tous plus ou moins couchés sur le sol, quand un murmure sensuel se fait entendre, venant de la bouche suave du matelot Sans Quartier, du genre: "Oh oui, c'est bon… !" Surprises ! Toutes les mâles trombines à la barbe de trois jours, se tournent vers l’endroit d’où vient ce divin soupire, peu commun dans ce monde de brute qu’est l’armée. Not’ matelot ou plutôt matelote est allongée sur un banc ou une botte de paille, dans une position que la morale militaire ne réprouve pas, les yeux clos, le sourire aux lèvres, plongées sans doute dans un sublime et ineffable rêve, savoure les rayons du soleil portugais qui réchauffe son frêle petit corps. Bref ! Ma morale personnelle et le souvenir de mes nuits solitaires d’internat jadis, m'empêchent de continuer à décrire cette troublante scène. Je détourne le regard et m’absente pour un moment… Oui, je sais, le canonnier de marine est pudique.

Le tambour bat la générale. Rassemblement des troupes et défilé derrière un mulet habillé en dimanche, soutenant une statue de la vierge noire Fatima, une ancienne conquête, paraît-il, de notre dieu perso dans les années 80. Nous aut’ laïques-révolutionnaires-républicains-bonnets phrygiens rouges et gilets jaunes, suivons le cortège patiemment et prenons vite la tangente à proximité du camp. De nombreux soldats portugais viennent se recueillir devant l’icône religieuse dont nous respectons le cérémonial. Nous aut’ soldats, nous ne mettons le genou en terre que pour demander pardon à Dieu de tirer sur ceux d’en face et inversement, car arrivé tout là-haut, l’Etre suprême accepte tout le monde, sans distinction d’uniforme.



18 H 00. Le corps expéditionnaire venant de Rochefort se rassemble, sans arme, sous un auvent dressé sur le camp. Face à nous aut’, les deux régiments portugais d’Almeida. Les officiers des deux nations se font face et sourient. Not’ commandant, décontracté, fait un discours de remerciements aux organisateurs locaux et amis depuis dix ans. Ses mots sont traduits en portugais par une cantinière nommée Ana et le capitaine du 4ème d’artillerie, Pedro. Ce dernier fait de même (en français) à l’attention des marins et voltigeurs. Tous s’embrassent chaleureusement en se disant : « On s’étripera plus tard ! », « Obrigado ! », qu’ils répondent. Remise des cadeaux, sous la forme de denrées diverses, vins et produits régionaux venant des régions du littoral atlantique, et réception de ceux offerts par nos amis d’Almeida. Tous partagent ensuite le verre de l’amitié et font la causette.



19 H 00. Les affaires reprennent. Rassemblement pour la descente des couleurs devant la municipio. Le maire, les autorités civiles et militaires sont alignés devant les colonnes de l’édifice. Le maréchal Masséna fait partie du groupe. Toutes les troupes belligérantes sont sous les armes. « L'atmosphère est lourde ! » que j’pense. Il va s’passer quelque chose, je l’sens ! Le colonel Antonio Faria e Silva et le capitaine Pedro Casimiro font signe à not’ commandant de les rejoindre. Je développe au maximum l’orifice de mes portugaises d’oreilles, et j’entends distinctement qu’ils lui demandent de désigner deux de ses hommes, les plus valeureux, qu’ils souhaitent distinguer. L’commandant tourne la tête vers ses troupes et porte ses yeux d’aigle sur… moi. J’suis modeste (car le canonnier de marine l’est par nature !), mais je m’sens épié, menacé, on conspire contre moi... Oh, que mon namoi de canon me manque. J’baisse la tête et j’couvre mes yeux avec la visière de mon shako. J’tente de rétrécir, mais j’suis devant mes hommes. Et là, le drame, la catastrophe biblique, l’incontinence me guette, le commandant me désigne du doigt et m’ordonne de venir à lui, au beau milieu de la place et sous les regards de milliers de paires d’yeux. Son sourire est plus narquois que carnassier. C'est dingue cette impression sournoise et persistante que ça va mal finir. J’ai les guibolles qui tremblotent. J’présente les armes. « Vingt-dieux ! » que j’me dis, pourvu que j’me trompe pas d’main avec mon flingot. V’la t-y pas qu’on m’boute sur mon habit, un biau ruban rouge et bleu avec une médaille de bronze en d’sous. J’reste là, raide comme un tacos, le silence autour de moi est assourdissant, quand l’commandant m’fait signe de gicler vers les rangs. C’n’est point là, la Légion d’honneur, mais quand même ! Ce fut ensuite le tour d’un vieux tambour du pays d’Aunis nommé Rantanplan, tout fier, qui reçu sa médaille. Quand à not’ commandant à nous aut’, il reçu une pluie d’ferrailles dorées sur le torse : la médaille à ruban bleu aux armoiries lusitaniennes d’or de l’armée portugaise pour dix années de présence, celle rouge et bleue aux armes de la citadelle et du 4ème régiment d’artillerie d’Almeida, puis une autre commémorant les combats de cette année 2019. On aurait dit un général russe. Plusieurs officiers et soldats portugais reçoivent aussi diverses distinctions.

19 H15. «J 'n’aime pas avoir toujours raison… ! », que j’me dis. Puis nous retournons en défilant jusqu’au camp.



20 H 00. Les rations pyrotechniques de guerre (poudre) devaient être distribuées dans les gibernes, mais pour le moment, rien ! Il doit se préparer quelque chose : « Namoi, namoi, tu me manques !», que j’ marmonne tout bas.



21 H 30. M’enfin ! Nos cartouches ont disparu. J’organise un détachement qui passe en mode commando, déguisés en courant d’air. L’caporal armurier Long-Feu, l’canonnier Le Brutal et moi-même pénétrons discrètement dans la poudrière de la citadelle afin de récupérer not’ bien. Le forfait réalisé, je sors le premier, suivi du caporal Long-Feu qui esquisse un sourire machiavélique et dit : « Tout va bien j’ai pris l’assurance habituelle ! ». Je feins, (Tient donc ? Mot inattendu pour moi, mais que j’ai déjà entendu quelque part, espérons que je l’ai bien placé !), de ne pas comprendre.

La distribution faite, nous partons en guerre par une manœuvre habile, celle de Xersès contre Léonidas aux Thermopyles (alors lààà ! j’m’épate tout seul, de tant d’antiques connaissances dans ma tête !). Nous pénétrons dans la citadelle en colonne par deux, suivant des chemins chaotiques de chèvres, dérobés à la vue de l’ennemi. Chose étrange, not’ commandant utilise une technique éprouvée du passé qui est le summum de l'avant-gardisme. Bref ! Il ouvre seul la route comme un voltigeur, signalant tous les pièges du terrain accidenté à proximité du vide des hauts remparts. Notre état-major, composé du maréchal Masséna, de sa suite d’officiers et quelques gendarmes (gentiment libérés de la garde du G7 à Biarritz), trébuche souvent sur les cailloux à cause de ses grandes bottes à l’écuyère. Nous arrivons par un chemin pentu, et dans le noir le plus complet, au pied des remparts. Se trouve là un large fossé dans lequel nous nous mettons en formation de combat. Plus loin, les troupes ennemies sont alignées et fort nombreuses. « Trahison, on nous attendait ! », qu’on s’dit ! Etant désigné par le maréchal, (qu’a voulu rester à l’arrière pour relacer ses sandales dit-il !), c’est not’ Lumière Céleste de commandant qui organise et dirige l’attaque (ce qui est un honneur pour un simple chef de bataillon, ingénieur de surcroît). Il forme immédiatement les divisions et brigades. Au centre, la cavalerie et devant l’artillerie, couvriront la droite ou la gauche selon les besoins. Notre brigade étant sur l’aile droite, nous attaquons sans cesse, mais l’ennemi semble immortel. Je soupçonne nos canonniers espagnols, (donc pas ennemis de nos ennemis !), de faire des tirs « inertes » c’est-à-dire à blanc. Pensez donc un tir à mitrailles à 10 pas d'une ligne ennemie comptant 2000 bonshommes c’est un nom et pas un adjectif donc bonshommes, ça doit faire un beau trou dans les rangs et laisser quelques traces de boucherie dans les sillons. Las, pas d’trou en face et pas une goûte de sang, c'est quand même pas d’pot pour nos armes, ou plutôt la mienne… l’artillerie ! Le canonnier de marine est orgueilleux.

A cet instant, du coin de l'œil, j’vois not’ commandant foncer tout droit sur les lignes ennemies en faisant tournoyer sa canne en l’air. Connaissant l’bonhomme, qu’est pas dépressif pour un sou, je n’doute pas un seul instant qu’il va nous faire une attaque suicide. D’ailleurs je n’ l’entends pas crier « banzaï ! » en plissant les yeux, comme lorsqu’il est en « conférence ». Cependant, sachant qu’ça fait bien dix ans qu’y d’mande l’asile à l’alcade d’Almeida, j’me dis : "Ca y'est, va encore nous faire le coup d’l'asile politique !". Ben non ! Et voilà pourquoi. Le quartier maître Campiston dans une totale abnégation perso-de-lui-même-seul a voulu réaliser l'impossible. Voyant le canon d’à côté inefficace, il a redoublé d’ardeur et d’courage en fonçant droit sur une ligne rouge d’Highlanders, poilus des jambes et en jupe. Action tellement incroyable et insensée, qu'il en est tombé sur le séant et ne s'est pas relevé. Croyant mort cet Hercule français et devant un tel acte d'héroïsme, l'ennemi cesse net le combat. Not’ commandant, croyant notre Campiston national occis, s’approche de sa dépouille pour l’honorer sur le champ d’honneur. Notre héros, tout pâle comme un homicidé, ouvre d’un coup les yeux et dit à not’ Lumière Céleste surpris : « On n’vend pas la peau d’un marin Béarnais avant l’avoir tué, j’suis simplement blessé au cul, mais j’peux plus bouger, faut qu’le chirurgien viennent me remettre sur pied ! » Las, not’pauv compagnon d’infortune était plus gravement touché qu’il ne le pensait et c’est un chariot d’ambulance du service de santé qu’est v’nu l’chercher. Not’ chirurgien d’marine Chasseriau va s’occuper de lui.

L’ambulance hippomobile s’éloigne. Tout est calme et là, mon esprit, qui s’était perdu dans l’brouillard de la guerre, revint quelque peu à la normale et j’pense tout haut : "Oh putain, Long-Feu, il est ou ? ". C’est à ce moment qu’une voix se fait entendre « Tora, tora, tora, banzaï, alea jacta est, l’honneuuu et sauf, j’ai sabodé le navi’e ! ». J’ai déjà entendu ces même mots l’année dernière, presqu’au même endroit espace(voir rapport 2018). Il esquisse un sourire qui devient large comme un jour sans fin. D’un coup, on entend une sorte de long Pfffffffffff, « Bouchez-vous les esgourdes ! », qu’il gueule le Long-Feu, suivi d’un : « C’n’est pas moi l’responsable ! » presqu’inaudible, à cause des formidables explosions qui venaient de la poudrière. Ben mon vieux, quel ramdam ! « Mèche longue hein ? » que j’lui demande. Pas d’réponse !

Retour au camp, mais c’te fois par la rue. Puis, quartier libre pour tous, sauf la garde du bivouac.


Dimanche 25 août


7 H 00. Réveil. J’ai faim, les autres aussi d’ailleurs. Mouvement général vers le troquet du coin pour le miam matinal, d’autres filent vers la cambuse interarmes au village.



9 H 30. Je récupère les dernières enveloppes de cartouches gisant dans les vestiges de la poudrière encore fumante. Oui, je sais, l’artilleur de marine est écolo et n’a pas peur du danger !



10 H 30. Rassemblement des unités pour la levée des couleurs, sur la place de la municipio. Toutes les troupes sont présentes comme chaque jour. Le maréchal nous informe que nos hussards ont remarqué qu'il reste des troupes ennemies et qu’elles se regroupent pour nous chasser. Les ordres pleuvent. Not’ commandant a toujours en charge la direction des troupes. Nous partons à leur recherche hors de la cité pour préserver la population du carnage à venir. Mais qui va à la chasse perd sa place, selon le vieux dicton conjugal vendéen. On est maintenant dehors, ils (nos ennemis) sont dedans et ont refermé les portes. Les remparts se couvrent de soldats, de moines et de guérillas qui nous canardent d’en-haut. L’artillerie qui s’est placée face à la porte principale, est la première à engager le combat sans guère plus de résultat que la veille (Ah, si j’avais mon namoi d’canon !). Passant la première porte, nous les engageons de face pour fixer ces gredins le dos aux fortifications, bridant ainsi leur liberté de mouvement. C’est en gros c’que j’entends du commandement derrière moi. Profitant d’un moment de relâchement chez l’ennemi, comme à Arcole avec Bonaparte le jeune, nous reprenons le pont, passons prestement la grande porte dont les gonds viennent de se desceller (l’artillerie n’y est pour rien !), puis nous tirons presqu’à brûle pourpoint sur les pauv’gars d’en face. L’état-major adverse au centre du dispositif, est dans l’impossibilité de combattre efficacement. La situation inextricable dans laquelle se trouvent les alliés, incite leurs chefs à se rendre à la raison du plus fort. Le combat cesse. Les épées présentées par les officiers vaincus sont rendues. Les emplumés des deux camps se serrent la main, comme d’habitude, se promettant, en se marrant, de faire mieux la prochaine fois. Les morts se relèvent, les moines donnent à boire à toute la soldatesque assemblée. Il est temps de rejoindre la place de la mairie.



13 H 00. Descente solennelle des couleurs et captations des dommages de guerre. C’est-à-dire qu’on vide, une fois de plus, la cave municipale dont le vin n’a pas le temps de vieillir. Cependant, la troupe murmure, et quelques matelots interpellent le commandant : « Ben, elle est où la solde ? ». Gêné, not’ Lumière Céleste nous explique que le maréchal Masséna, qu’était là tout à l’heure avec une grosse caissette, semble avoir disparu avec la solde et le fruit de ses rapines religieuses. Il dit : « J’crois, encore une fois, qu’vous l’avez Campiston, nouvelle expression qui semble dire, vous l’avez dans l’fion ! ». « Ah, le lâââche, le traîtreuuu, on va l’déplumer l’emplumé ! ».

On retourne au camp au son des fifres et tambours d’Aunis. Le commandant marche en tête, fier comme un pou sur un crâne d’œuf. Quand tout à coup, on entend derrière nous un cri strident venant du matelot Sans-Quartier : « Commandant, vot’ dame est tombée sur le pavé d’la rue ! ». « Halte ! », qu’il ordonne, en regardant plus loin. Puis quittant le rang, il remonte la rue en grommelant des choses incompréhensible du genre : « C’est pas vrai, mais c’est pas vrai ! Elle m’aura tout fait ! crogneugneu d’Tuile etc. ! ». Il rejoint sa moitié qui est au sol entourée du maire, d’un médecin et du service de santé qui s’est pointé rapidement. Ils lui saucissonnent la cheville entre deux attelles et elle est ramenée assise sur deux fusils portés par deux hommes forts.

L’commandant, dépité par tant d’injustice dit : « Et dire que j’croyais qu’la malédiction ne m’suivrait pas jusqu’au Portugal, j’avais tort ! ». Puis, il jette violemment au sol une queue d’lapin qu’il avait suspendu au cou et un petit flacon d’gros sel de Ré. J’ignore de quoi il parlait, mais ça fait froid dans l’dos. J’n’aime pas ces trucs là !



13 h 30. C’est l’heure du repas. Tapas, faut varier un peu !



15 H 00. Préparatifs du départ. Faut tout replier et laisser place nette. J'va enlacer tous les namois des remparts, que j’vais laisser seuls durant une année. Mais j’leurs dis dans un sanglot, sans y croire vraiment et pour les rassurer, que 363 jours ça passe vite, et j’me retire les laissant là, froids comme le bronze. Les pauv’ namois !



16 H 00. Tout l’matériel est sous le porche de la porte saint Machin. On attend ! Pas de charroi à l’horizon. L’inquiétude s’installe. Pourvu qu’la guérilla locale ne leur a pas fait la peau. Y faudrait qu’on rentre à pince. « Des clous ! », qu’on s’dit.



16 H 15. Toujours pas d’chariot en vue. La peur s’installe. On gamberge beaucoup. Qui sait ? Peut-être ben que not’ cambusier La Garouille y est pour quelque chose là-dedans ! 600 bourrins, ça vous aiguise l’appétit d’un barbare équin.



16 H 30. Finalement, nous voyons arriver les… 100 chevaux et notre charroi, 100 qu’il reste (!?) (Non ne dites rien, je sais !). Le canonnier de marine peut rester muet, parfois !


Lundi 26 août


2 H 00. (heure française). Nous sommes de retour au pays des Gaulois, en vainqueurs, les lauriers sur la tête. La maréchaussée nationale nous arrête à la frontière sous prétexte d'un contrôle d'identité. En fait, ils viennent regarder de près leurs héros. Mais le plus « héro » de tous, manque à l'appel. Il fait la causette avec les belles infirmières portugaises dans un hôpital militaire à Guarda (il sera rapatrié quelques jours plus tard.)

Inventaire : 1200 cartouches confectionnées, 900 tirées, reste 300 cartouches, 4 silex changés et 1 mordache remplacée.



Nous tenons à remercier chaleureusement nos amis reconstitueurs portugais, le village d’Almeida, son maire, le bar du coin dénommé l’avant-garde, ainsi que l’ensemble de la population locale pour leur accueil et leur gentillesse désormais inaltérables.




Veuillez trouver ici, Mon Commandant, la fin du rapport circonstancié.

Sauf erreurs ou omissions et fautes d’ortteaugraffes bien sûr.




Viva Portugal ! Viva Almeida ! Vive l’empereur !




Sergent Fred dit Tire-Bourre


















Bafouille : Tire-Bourre.

Censure et transformations : Lumière Céleste.

Corrections : La Royale.




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