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Journées du Patrimoine : Blaye 2018

Voici trois extraits de journaux de marches. Celui de l'appointé-caporal Requiem, du Sergent Tire-Bourre et de l'appointé caporal Mieux-Vaut-Tard.

Départ de la Flottille en patrouille © HistoArts & Le Garde Chauvin

A l’attention du Chef de Bataillon A. Masquelez,

Commandant du 8ème B.O.M.M dit « Bataillon d’Espagne » et du 44ème Equipage de Flottille.





Extrait du Journal de marche de l’Ouvrier de 1ère classe, appointé caporal aide-fourrier Requiem, 1ère escouade, 2ème section, 2ème compagnie, du 8ème Bataillon d’Ouvriers Militaires de la Marine.



AN XVIII, du 14 au 16 septembre.


Mon commandant, je n'ai guère écrit sur notre bivouac éclair en la ville de Napoléon (La Roche-sur-Yon), où le regard figé du « Patron » se posa sur nous aut’ pauv’ mortels. Durant notre séjour, il y eut encore des rumeurs et des peurs inexpliquées relatifs à not’ cambusier et son goût immodéré pour tout ce qui est équidé, même en bronze. D’autres que moi vous ont sans doute relaté dans leurs rapports, tous les détails de cette journée en pays vendéen hostile. Bon, après tout, ce sont les risques du métier d’soldat de marine. En ce qui me concerne, en tant qu’aide-fourrier, le temps m’a manqué pour faire des revues de détail des hommes du détachement. J’ai promis au sergent-fourrier La Gabelle de faire mieux une prochaine fois.


Voici donc un extrait de mon journal de marche.


Vendredi 14 - Petit dépôt des OMMs de Lorient. Nous recevons l’ordre du commandement de Rochefort, de rejoindre le bataillon dans une citadelle de Gironde Nous chargeons nos chariots attelées à des bourriques ou mules de compétition. Nous quittons notre chère vieille Breizh (Bretagne) en prenant la grand’ route du sud. Nous arrivons au petit dépôt du port de Nantes où nous récupérons l'ouvrier de 1ère classe appointé-caporal Mieux-Vaut-Tard, un du Pays, comme on dit ! Vous savez c’est l’cousin d’ l'aut’ gars breton qu’est caporal ! Oui, l’ouvrier-charpentier-tambour-fifre, que sais-je encore ? Il est polyvalent cet homme là ! Son surnom principal est Le Trusquin (genre d’outil d’sa profession), d’autres le nomment, machin, truc, boudin, Hamed, Aziz, pied d’bœuf, bref, y répond à tous les noms qu’on lui donne !


Notre charroi roule bien, la route est parfaitement dégagée et nos bêtes bourrées d’amphétamines mélangées dans l’fourrage font sept lieues en moins d’une heure. C’est plus rapide qu’un mustang ! Nous arrivons au dépôt de cavalerie de Saintes. Nous évitons les douaniers-marins du coin qui pourraient contrôler nos bêtes transpirantes, disons chargées, certes, mais pas par nos bagages ! On récupère l’ouvrier-conscrit Le Cadet qui nous attendait devant la caserne. Avant d’l’embarquer nous sommes inquiets par la masse de bagages qu’il emporte. On croit d’abord qu’ils sont plusieurs. Normalement, un soldat bien équipé est un soldat ayant le plus de chances de survie… ou presque, mais là faut pas pousser mémé dans les orties, qu’on s’dit ! On charge tout l’bordel comme on peut. L’ouvrier MVT laisse sa place et rejoint l’cochet sur le haut du chariot. C'est ainsi qu'on vit le soleil se coucher avec du matos qui touchait le haut de la toile de la carriole. Le conscrit, en dessous, s’étouffe, il est tout rouge, mais on n’peut rien pour lui ! Nos nouvelles mules sont si solides qu’on dirait des percherons au cul bien large et musclé. Une question se pose, espérons qu’elles nous mèneront à bon port, ou plutôt à bonne citadelle, avec le poids qu’elles tirent.


Nous arrivons devant les hautes murailles de Blaye, que les Anglois, qui arrivent de Bordeaux, voudraient bien nous prendre. Comme les autres avant nous, on s’trouve devant une chose toute dressée qui nous barre l’entrée du site. Faut quand même passer, alors on planque not’ charroi hors de la vue d’un certain cambusier, et on s’dirige à pied vers le bivouac des marins. A l’entrée du camp nous trouvons des chevaux, et à quelques pas des hussards qui plantent des piquets pour faire un enclos. On s’dit qu’ils devraient faire gaffe à leurs montures, car El Prédator (c’est comme ça qu’les cavaliers espagnols surnomment La Garouille) est sans doute dans le coin et il a dû flairer l’odeur des jeunes équidés. Avec mon camarade ou plutôt… non, mon compagnon d’paillasse Sans-Quartier (j’en dirais pas plus, car nous avons des secrets dans la marine !), on choisit une tente proche de celles des futures fantassins, car on s’doute, comme d’habitude, que nos hussards vont s’en retourner à pince vers leur caserne. On rigole en les regardant, tout en leur disant d’être sur le qui-vive. Ils nous défient, en nous traitant de demoiselles. Quelle ridicule… rumeur, pour nous aut’ les vrais marins, mâles burinés et poilus partout, ou presque car on s’épile parfois ? Bon, on encaisse, mais va falloir s’faire petit(e)s et gaffe aux ombres chinoises sous la tente, sinon ce sera comme dame Jeanne d’Arc qu’on va finir, non pas grillées sur un bûcher, mais rôties à la broche avec une pomme dans l’bec.



Samedi 15 - Le jour se lève, mon compagnon de chambrée s'habille plus rapide que la lumière. En deux temps trois mouvements, not’ Sans-Quartier, pour ne pas le nommer, a quitté la tente et dehors tout le biv … heu non, plutôt le camp (le mot commençant par un B est normalement interdit, car l’expérience nous rappelle qu’une fois dit, il attire la pluie !)*, tout comme nos bretons d’amis qui, à l’instar des grenouilles aiment la flotte qu’elle soit bretonne ou nationale. Foutue légende arthurienne ! Bref ! Je continue mon rapport. Donc j’écrivais que tout le camp s’éveillait aussi et qu’on allait droit vers le tivoli pour déjeuner de quelques menus aliments et jus de chaussette. Nos compagnons hussards reniflent les gamelles au cas où.

* Nota : Le mot « lapin » est aussi interdit dans la marine, car en bouffant les bouts et autres cordes, ça mène au naufrage des navires, donc encore de la flotte en fin de compte. On est superstitieux chez les marins.


Un peu plus tard, le caporal Trusquin fait l’attribution des armes. Ah ! Ce qu'Henri (mon fusil favori) m'a drôlement manqué. Le scintillement métallique de son canon, le bois sombre et lisse de sa crosse, et sa Joséphine (baïonnette) si fine et belle, accompagnent mon cher Jacques (sabre), le tout ravit mon petit cœur de marin. J’dois avouer que j’donne un nom à tous les objets qui m’accompagnent, c’est comme ça le fétichisme ! Une fois équipés, nous faisons nos exercices matinaux et mes narines sensibles interceptent des effluves provenant de la tambouille qui chauffe sur le feu. On s’régalera à midi. N'écoutant que notre courage, nous aut’ les Ouvriers, laissons la flottille partir en patrouille dans les ruelles de la citadelle, tandis qu’on nous ordonne de monter la garde sur le camp, avec des consignes particulières données par le caporal La Plume.


Au retour de la patrouille, l’enseigne de vaisseau La Grenade rassemble ses marins pour un exercice d’escrime avec … sabre de bois et comme dirait not' Lapérouse « A L'ABO'DAGE ! » Après le sabre, entrainement au lancer de grappin contre une murette sensée représenter un vaisseau ennemi. C’est qu’il en faut de l’imagination à nos chefs pour nous faire prendre des vessies pour des lanternes ! La clochette annonçant la bouffe retentie et nous sautons sur nos gamelles pour nous fondre dans la colonne qui se forme devant la cambuse, sous la surveillance des sous-officiers et de not’ commandant qui lui, sera servi en dernier. On s’régale de not’ poulet rôti, car il n’y a pas de cheval inscrit au menu. On avait déjà vérifié qu’ils étaient bien dans leur enclos, d’ailleurs nos braves compagnons hussards sont attablés, nous sommes rassurés.


Début d’après-midi ensoleillé : pas de sieste, on rage ! Nous v'là encore à l'école du soldat pour former les p'tits nouveaux conscrits. Plus tard, simulation d’un abordage selon la règle : tirs de canons, mousqueterie, lancer de grenades sur le pont adverse, lancer de grappins et enfin abordage au sabre. Ce qui fut mon cas. Je m’élance mon Jacques en main afin de pourfendre cet ennemi en habit rouge, mais en fait, il semble bien rond, certes rouge, en grappe et en ligne… Fait étonnant, il ressemble au fruit que l'on fait fermenter pour le boire… Bon, en vrai, il s’agit de grappes de raisin, mais ce n'est qu'un détail. Durant l’assaut, je passe par un endroit où nul autre n'aurait voulu passer, aidé ou plutôt propulsé telle une brindille par-dessus bord, par mon caporal bien aimé La Plume. Heureusement, grâce à ma souplesse naturelle légendaire, je retombe les pieds sur de la terre sèche, dure, agrémentée de feuillages divers et de ronces. Mes compagnons d’armes sont restés sur le cul, ne sachant pas comment j'avais pu faire une telle prouesse. D’autres disent sarcastiques qu’un lancer d'asperge par- dessus un mur, c'est toujours surprenant et rigolo à la fois ! Tous des jaloux !


Le vaisseau ennemi étant pris, nous remettons nos armes en faisceaux, puis nous obtenons exceptionnellement un quartier libre pour nous rafraîchir. Nous partons en meute assoiffée vers un estaminet de fortune, face à l’estuaire. Une servante se pointe et j'vois nos bons hommes (pas bonshommes !) reluquer la donzelle des pieds jusqu’en dessous d’la tête. Ils ne perdent pas l'nord ces matelots là ! On s’humidifie un moment la glotte qu’était couverte de poussière. De retour au camp, nous vaquons à nos occupations de soldats. Après la gamelle du soir, vers minuit, un officier du génie de la place nous propose d’inspecter les défenses de la citadelle avec des lanternes (curieuse visite !). Paraîtrait que l'Vauban, n’était pas si bête. Not’ citadelle aurait des coupes-coupes en forme de chèvre. En clair, nous sommes surpris de voir (dans le noir) que ce sont de bêêêtes moutons à cornes qui broutent l’herbe recouvrant les bastions, histoire d’entretenir le site. Nous continuons notre visite dans les souterrains sinueux et impressionnants de la citadelle. Le sol terreux est instable, on sent une forte odeur d’humidité, nous montons ou descendons des escaliers centenaires et usés à vous mettre cul par-dessus tête, un vrai labyrinthe. Nous tombons sur un ancien dépôt de poudre où, en son temps, des occupants germaniques ont laissé des traces visuelles de leur passage en ce lieu. En effet, les murs sont recouverts de fresques représentant des habitations allemandes et des inscriptions gothiques. D’autres dessins plus explicites représentent de charmantes jeunes femmes, partiellement dénudées, la jambe haute dans des positions à faire rougir les plus mâles de nos marins. Nos prussiens d’occupants ont dû passer du bon temps avec la gent féminine locale. Le reste de ces catacombes est peinturluré de maintes manières. En tout cas, j’ai senti une odeur de menthe poivrée titillant mon museau et révélant mon envie de boire un bon mojito.


En rentrant de cette expédition nocturne, nous apprenons l’attaque sournoise à l’encontre du canonnier Boutefeu dont le nez cassé et ensanglanté prouve combien il s’est valeureusement défendu. Nous accourons pour lui porter secours. Déjà, bandes et pansements recouvrent son visage tuméfié. Plusieurs compagnons et not’ commandant s’occupent de notre héros, qui ne saignant plus décide d’aller se coucher en attendant le jour pour se faire soigner par le service de santé de la place. Le calme revient, quelques silhouettes sont autour du feu de camp et discutent tranquillement. Je m’étends sur ma paillasse tandis que ma chaudière de Sans-Quartier ronfle déjà à mes côtés.



Dimanche 16 - Un nouveau jour pointe son nez, le soleil aussi. Petit déjeuner avec jus de chaussette chaud, c’est déjà ça ! Notre enseigne de vaisseau La Grenade nous raconte sa jeunesse d'acteur de théâtre non abouti. Un drôle d'homme, que j’me dis ! Toujours est-il que ça sent l'Anglois dans l'air. On nous dit qu’le Wellington aurait quitté Bordeaux. Il nous faut patrouiller au cœur de la citadelle, puis en faire le tour et chouffer vers le large où quelques canonnières pourraient bien s’pointer. Not’ conscrit Le Cadet se fait porter pâle et file à l’anglaise, il aurait une aut’ mission à accomplir ! Qui donc l’a missionné ? On enquêtera au retour de la patrouille. Paraîtrait qu’il serait grièvement blessé à un membre supérieur ? J’ai rien vu d’cette terrible blessure.


Le midi : Dernière popote froide, le feu de la cambuse étant éteint, faut faire avec ! On s’occupe comme d’habitude à différents exercices, durant l’après-midi. Nous sommes ravis de constater que nos braves hussards n’ont pas tenus compte de nos avertissements en ce qui concerne la surveillance de leurs montures. En effet, notre compagnon de route, le hussard L’Étrille trimbale des bottes de paille au milieu du camp, sur lesquelles il installe chabraques et harnachements. On s’dit que c’est pour les sécher au soleil. Mais, oh, surprise ! Ils montent sur ces montures de fortune et font de l’escrime heu … équestre. Nous n’osons pas rigoler devant ce spectacle burlesque, au risque de voir ces grands sabres fendre nos têtes, ce qui n’empêche pas nos camarades cavaliers de nous rappeler nos simulations d’abordage contre une murette et plusieurs rangs de vigne. Bon ! Balle au centre ! Mais que sont devenus leurs fiers destriers ? Est-ce encore l’œuvre du Serial killer des padoques, le Jack l’éventreur des canassons, l’Homme qui n’parle pas seulement à l’oreille des chevaux, bref ! not’ cuistot d’quartier-maître La Garouille. On doute cette fois, car il est là-bas, au fond du camp, avec sa cambuse à préparer ses affaires à côté de sa moitié La Patience. Ah ! Les rumeurs …

Voilà, mon commandant, ma vision de ce camp de Blaye, qui différera sans doute des fariboles et menteries des aut’ rapports des compagnons, qui veulent toujours avoir le beau rôle, moi qui suis toujours disponible, serviable, et un humble ouvrier de 1ère classe appointé caporal aide-fourrier, portant un vieil uniforme sans rien d’cousu dessus.


A bon entendeur… Merci d’avance.


Avec mes respectueuses considérations.



L’Ouvrier de 1ère classe…

Anaëlle dit Requiem

Bafouille : Requiem

Transformation & censure impériale : Lumière Céleste

Correction : Main-gauche & La Royale.




 


Extrait du Journal de marche de l’Ouvrier de 1ère classe, appointé caporal Mieux-Vaut-Tard, 1ère Escouade, 1ère section, 2ème compagnie, 8ème Bataillon d’Ouvriers Militaires de la Marine.




Vendredi 14 septembre de l’An 2018


18h00. Nantes : Arrivé du caporal Trusquin et de l’appointé-caporal aide fourrier Requiem au petit dépôt des OMM de Nantes. Nous chargeons le charroi, abreuvons nos mules et quittons la cité ligérienne pour la lointaine Gironde, plus bas dans l’sud. Toujours fidèle à l’esprit manœuvrier du patron, nous voyageons léger, d’autres voyagent chargés, mais c’est six points d’moins sur le livret militaire trente jours de trou en forteresse !


20h30. Halte au relais de Saintes où nous changeons nos bêtes exténuées et récupérons l’ouvrier conscrit Le Cadet. Celui-ci, bien que de bonne taille pour être voltigeur, est chargé comme un croiseur (de poche) sans les flingues de concours. Il a avec lui deux grandes valises (malles) ainsi que deux havresacs en peau d’vache et son sac à pain ! Sait-il que nous allons à Blaye et non pas aux Antilles ? Nous nous retrouvons avec moult bagages tout autour de nous. Par chance, étant près du guimbardier (le cocher, chez les riches !) j’ai, comme qui dirait, un relatif confort.


21h30. Blaye : Nous arrivons enfin devant la porte monumentale de la citadelle de Blaye où nous tombons, comme d’autres amis arrivés avant ou après nous, sur un genre d’obstacle typiquement… Jean-cômien, y a pas d’autres qualificatifs qui m’viennent à la tête. Si, peut-être, les pierres préhistoriques dressées de Carnac. Un genre de… bite d’amarrage (attention à la prononciation, il ne s’agit pas là d’une bête Mite mangeuse de cordes !). Et quand je dis que « nous tombons dessus », c’n’est pas qu’on tombe dessus mais plutôt qu’on trouve l’obstacle là, devant nous aut’. Avoir un tel totem écosso-breton, sous nos yeux ébahis, nous n’avons donc pas le choix ! Nous planquons notre charroi hors de vue, avant de monter nos effets à pied jusqu’au bivouac. Là-bas nous sommes d’abord accueillis par une bande de hussards loqueteux et sans tente. Aïe, que j’me dis, on est tombé sur un camp d’Hongrois. Heureusement pour eux que le Vieux, j’veux dire not’ Commandant chéri, est d’une bonté d’âme immense. Il a donc accepté de les loger sur le camp militaire des marins, en contrepartie de quoi, leurs chevaux devront stationner plus loin du bivouac et pas sous l’vent. On préfère l’odeur du poisson iodé au crottin, fut-il de pur sang ! Nous comprenons, mais pas eux ! Tant pis ! Un peu plus loin, et là sous l’vent, car nous reconnaissons une odeur familière, c’est le matelot Sans Quartier qui vient à notre rencontre et qui n’se gêne pas pour s’moquer de notre allure de pékins. Une fois de plus, il mouchera rouge avant la fin d’la campagne. C’est curieux, chez les marins, c’besoin d’faire des phrases… !


22h00 : Nous sommes bien installés, la paille semble fraîche, c'est-à-dire sans trop de poux, et nous graillons nos provisions de bouche. Les compagnons nous narrent alors l’attaque lâche, horrible, sanguinaire, épouvantable, barbaresque, et belliqueuse (je n’sais pas ce que signifie ce dernier mot, mais j’ai entendu l’Vieux le dire un jour, ça avait l’air grave). Bref ! L’assaut n’était pas très gentil ! Heureusement notre Lumière Céleste surnommé parfois, par nos ennemis le Bayard-des-Mers a repoussé l’assaillant avec panache. Apparemment, d’après les dires et témoignages divers zé véridiques, un parti d’Anglois v’nu des Amériques aurait tenté d’le scalper. C’est curieux ça, car l’a presque plus d’cheveux sur le caillou not’ chef ! La chose se serait déroulée près d’un fourgon type Super U 8 m³, sorte de chariot couvert à ouverture latérale, dans notre patois d’ouvriers-marins. Sans grandes difficultés l’Séminole emplumé type d’Amérindien-d’Amérique-Américaine a été mis en déroute. Hélas, dans la brutalité brutale et brutalisante de l’action, not’ chef bien aimé a perdu un morceau d’son cuir chevelu, à demi scalpé, quoi ! Ceci dit, des racontars malfaisants disent qu’il se serait cogné la tête tout seul, mais nous aut’, ça nous parait trop gros pour être vrai. En plus du commandant, not’cambusier La Garouille aurait lui aussi failli périr en perdant la vie d’son vivant. Apparemment un syndic-équin aurait essayé de le liquider par une immonde machination. Une jeune jument aurait servi d’appât (ou de chèvre, mais on n’va pas compliquer l’truc !) mais c’te bête, elle maîtrisait parfaitement l’combat rapproché à sabot nu et not’cambusier aurait reçu une sacrée correction… Mais le répit n’étant jamais de très longue durée, nous sommes à notre tour, sous le tivoli, attaqués par des hordes de Prusso-Alsaciens du régiment Von Kronenbourg. Malheur à eux. La victoire fut rapide. L’ennemi vidé ou rincé ne d’manda pas son reste et disparu !



Samedi 15 septembre de l’an 2018


7h00 : Réveil. Décrassage, dépouillage. Petit-déjeuner ou presque.


9h00 : Attribution et nettoyage des armes, c’est la consigne du matin. Le berlingot qu’on m’a attribué est celui qu’j’avais à Almeida. Je me rappelle que Le Cadet l’avait, comme qui dirait saboté. Avec la science technique du caporal Trusquin nous découvrons son horrible forfait : il aurait déplacé le silex de manière à ce que celui-ci vienne frapper la feuille avec un coin et donc la frapper sans produire d’étincelle. C’est très technique tout ça ! Ah, le vil gredin ! Nous faisons les réparations d’usage et comme par miracle (merci Lumière-Céleste !) le fusil est à nouveau opérationnel pour bouter du chrétien ou tout autre bonhomme ennemi de la Nation.


10h00 : Levée du drapeau. J’ai l’insigne honneur d’être désigné comme celui qui lève nos couleurs. Les caporaux La Plume et Le Trusquin s’occupent du pavillon de nos frères d’armes portugais.


11h00 : Je suis de garde à l’entrée du camp. Mes instructions sont les suivantes : Présenter les armes à tous les officiers, porter les armes pour tous les sous-officiers et présenter les armes pour tous les récipiendaires de l’Ordre de la Légion d’Honneur. Prenant mon poste très au sérieux, je m’laisse cependant attendrir d’un regard en coin vers la gent féminine locale et discrètement, j’cause avec une cantinière des hussards qui m’avoue aimer les barbes rousses, hou là là ! Que j’me dis ! Son mari, hussard lui-même, donc bon sabreur, s’tient à deux pas et m’lance parfois des regards lourds de sens. Pour ma part, le mien est partagé entre ma garde, la cantinière, son mari et la cave des hussards qui est à portée de goulot. Mes yeux s’troublent ! C’est qu’le soleil commence à être ben haut dans l’ciel et qu’il fait chaud, très chaud dans cette vacherie d’pays viticole ! Généreuse, la brave cantinière m’offre un godet… d’eau. Le mari grommelle, mais n’porte pas sa main à la poignée d’son sabre, ouf ! Finalement, c’est l’sergent Tire-Bourre qui vient m’relever et apparemment la belle aime bien aussi les artilleurs de marine, même bourrus. Le mari tousse à s’en étrangler.


12h00 : Je retrouve not’espingo Cataluña et Le Cadet sous la tente du commandant, qui n’est point encore là. En posant mes fesses dans le confortable siège du Vieux, je m’aperçois que le caporal Trusquin ronfle sur… le lit du chef. L’est foutu que j’me dis, y va s’retrouver ouvrier-conscrit-balayeur au pôle nord ! Et là, d’un coup, un parti d’Hollandais nous tombe dessus et aussitôt L’Cadet se fait fort d’causer l’franglais avec eux. Le naufrage du polyglotte Cadet étant visible, notre ibérique ami vient le sauver d’une mort linguistique inévitable. Ne comprenant rien à ce qu’ils causaient tous, je saisis les binocles du chef et fait semblant de rédiger des lettres importantes (n’oublions pas que j’suis l’plus lettré de toute la compagnie), par exemple la nomination de l’appointé-caporal-aide-fourrier au grade de sergent. Le faux fut remarquablement réalisé et il ne manquait plus qu’la bafouille officielle de not’ chef de bataillon. Malheureusement je n’eus pas le loisir de finaliser mon œuvre que la clochette de la cambuse tinta ! Donc à la gamelle, c’est prioritaire !


13h00 : Repas. Poulet et haricots vert (avec de l’oignon frit à l’huile et des lardons) Nous sommes bien soignés. Nous avons une invitée surprise, une pèlerine qui va à pied et seule à Saint-Jacques-de-Compostelle (c’est dans l’nord-ouest de l’Espagne). Elle s’appelle Alix. Elle serait une gauloise de Gaulle (je n’sais pas où c’est, mais l’Patron a déjà dû régler des affaires par là !). Nous regrettons que not’Lord-quartier-maître La Pérouse ne soit des nôtres pour nous éclairer de sa forte et longue science de la géographie gaullienne. J’ai seulement un vague souvenir antique d’école, quand, vers 53 avant JC (Jean-Claude sans doute) l’Jules César, s’présenta devant sa copine Cléopâtre, après des mois d’campagnes et lui dit : Vient là belle Égyptienne, j’ai la gaule ! Mais est-ce bien du pays d’Vercingétorix qu’il parlait ?


14h00 : L’enseigne de vaisseau La Grenade décide de prendre le commandement de notre troupe, matelots et ouvriers confondus pour des… exercices. Quelle joie, quel bonheur ! Ces beaux sentiments se lisent sur nos visages burinés de soleil. Qu’elle idée qu’il a l’sous-chef ? L’est fou ou quoi ? Par un temps pareil ! Y veut qu’on périsse tous séchés comme des harengs aux barbaresques. Nous aut’, on voulait, oui, on voulait… faire la siesteuuu !


15h00 : Nous appliquons (de not’plein gré !) notre savoir-faire à un exercice d’abordage. Le caporal Trusquin, Le Cadet et moi-même protégeons le flanc gauche du canon, servi par le sergent Tire-Bourre et l’canonnier Boutefeu. Le flanc droit est assuré par des matelots du 44ème de Flottille (les Lunes et Ty Punch). L’Octroi et Sans Quartier vont « grappiner » sous l’couvert des ouvriers Requiem et Cataluna, menés par l’trois-galons du caporal La Plume. Je préfère être avec Trusquin, surtout depuis notre campagne en Portugal où nous avons brillamment résisté à l’ennemi anglois en jupette. En plus c’est mon cousin à moi !


L’vaisseau ennemi qui s’présente à nous aut’ (entre un muret et des vignes), n’a aucune chance, et vient mourir sous nos coups d’canons, d’fusils, d’grenades, d’grappins et d’sabres. La violence et la rapidité de l’action sont terribles et on aperçoit les pieds d’vignes, sensés représenter les matelots anglais, qui semblent nous gueuler d’ssus : Lâchez-nous la grappe ! En effet, tous ces grains de raisins blancs et charnus se desséchaient à vue d’œil et nos bouches aussi, mais de soif. Encore une belle journée où nous avons gravé nos noms sur le marbre de l’Histoire de France, mais aussi sur les pyramides d’Egypte, les murailles d’Almeida, les murettes irlandaises, le sable des plages bretonnes (?) et dans des tas de troquets un peu partout en Europe ! D’ailleurs, en parlant de troquet…


18h00 : Fin des manœuvres, ouf ! Les fusils sont en faisceaux, les baudriers tombent et l’heure du quartier libre en ville sonne. Mené par le sergent Tire-Bourre, le caporal Trusquin, l’appointé-caporal-aide-fourrier Requiem, l’ouvrier Cataluña, le matelot Sans Quartier, le conscrit Le Cadet, la pèlerine Alix-la-Gauloise, et moi-même, le très humble et désintéressé ouvrier Mieux-Vaut-Tard-qui-ne-veut-pas-être-caporal-mais-qui-pense-que-Requiem-ferait-un-très-bon-Sergent, nous partons à la recherche d’une auberge pour nous rafraîchir la glotte. Nous posons nos fesses dans un estaminet où la beauté de la cantinière fait saigner des yeux not’ Sans Quartier après qu’il eut vomi. Beurk ! (Des horreurs j’en ai vu à bord, entre le scorbut, la syphilis, les abordages, les ongles incarnés et j’en passe. Mais là ! C’est tout réuni sur une seule et même personne !). Nous espérons tous, ne pas tomber malade, après avoir bu nos verres là-dedans (je parle de l’établissement, pas d’la cantinière !).


20h00 : Retour au bivouac pour le dîner, ou plutôt bouffer. Après ce royal souper nous traînons un peu nos guêtres sous les lanternes en nous racontant bon nombre d’histoires zhéroïques. Vers minuit une inspection des souterrains de la citadelle est proposée. J’ai peur du noir, donc j’décide d’échapper à cette corvée dangereuse. Je m’propose de garder l’feu du camp. Accordé !


0h00 : Le matelot Sans Quartier, qu’est quand même un drôle de zèbre, vient une nouvelle fois me provoquer. Je décide alors que ça doit suffire ! Nous réglons l’affaire selon les règles de la savate. J’en sors naturellement vainqueur. Mon adversaire jure qu’il aura sa revanche. L’affaire ne semble pas s’être arrangée, bien au contraire ! Par chance, le caporal Trusquin et le 1ère classe Cataluña arrivent, ce qui évite une seconde déroute à mon « zèbre » de la flottille. Nous nous posons autour du feu et laissons la fatigue venir.



Dimanche 16 septembre de l’an 2018


1h00 : Alors qu’on s’apprête à s’étendre sur nos paillasses, un cri terrible déchire la nuit. Bon Dieu, c’est quoi ? L’canonnier Boutefeu aurait été agressé par traîtrise. Le bruit court déjà que ce serait des Anglois qui lui auraient tendu un piège sournois près du tivoli d’La Garouille. Je m’demande aussitôt si not’canonnier n’est pas tombé dans un piège à cons laissé par le cambusier pour braconner de l’équin-porcin-sauvage… Not’ pauv’ Boutefeu a l’pif en sang, une blessure par devant qu’il répète tout fort, l’honneur est sauf ! Le Commandant qui l’suivait plus loin, n’a rien vu mais parle immédiatement d’bravoure, de Croix des Braves et d’gravure d’son nom sur l’Arc de Triomphe de l’Etoile à Paris. Ben mon vieux ! Le combat a dû être impressionnant ! Nous nous couchons fiers de notre camarade canonnier tarbais.


7h00 : Avec les premiers rayons du soleil nous nous levons. Décrassage approfondi réglementaire, nous sommes dimanche. Gilet rouge de rigueur et nous voilà biau et propres, bon, on sent un peu l’chacal, certes ! En prenant le chemin du tivoli pour le petit-déj’ nous sommes étonnés de voir quatre chabraques en peau d’moutons sur des chevalets et non des chevalaux… Les hussards sont dans la ruelle en dessous et gueulent « Y sont où ? Y sont où ? » pendant que not’ cher Boutefeu expose fièrement sa mine ensanglantée d’vieux grognard. Nous sommes impressionnés par tant de bravoure.


9h00 : La bravoure a aussi ses limites et le canonnier Boutefeu reçoit l’ordre du chirurgien major de la place, de rejoindre le Service de Santé de Tarbes. Il rêve déjà des 200 francs d’la pension qui accompagne le biau ruban rouge. Et nous aut’ on rêve déjà des pichets d’bière qu’il va nous payer s’il n’est pas trop pingre… Mais, l’est peut-être un peu gascon, not’ camarade, avec des poches cousues ! On verra bien !


9h30 : Nous sommes tirés de notre rêverie et de nos puciers par le Caporal La Plume. Nettoyage des armes et des équipements ! Qu’il dit, tout fort ! Une patrouille est à faire, merde alors !


10h00 : Départ du détachement. Nous faisons le tour de la citadelle. Rien de particulier à signaler, ni même sur l’estuaire. Pas d’rougeot en vue. De retour au camp nous vaquons à nos occupations et assistons notamment au spectacle navrant des hussards, qui, n’ayant pas retrouvé leurs montures, enfourchent des … ballots de paille en brassant l’air à grands coups de sabre pour faire l’exercice d’escrime. Pauv’gens qu’on s’dit ! Nous sommes un peu perplexes sur la méthode, mais surtout goguenards.


11h00 : Le Cadet se blesse on ne sait trop comment au… doigt. On entend une sorte de barrissement horrible d’éléphant d’Afrique, puis c’est l’silence. Il s’est évanoui l’môme et nous nous sentons un peu gênés, car on l’croit émondié. Cette campagne commence à être ridiculement génocidaire. Un commandant scalpé, un cambusier boxé à coups de sabots, un canonnier défiguré, un Cadet dans les vapes et des hussards sur la paille. Où allons-nous ?


13h00 : Déjeuner, si j’puis dire. Nous rigolons bien mais toutes les bonnes choses ayant une fin, not’ pèlerine Alix s’en retourne à sa route solitaire. Un brin pensif, nous espérons qu’elle ne croisera pas sur la route quelques malandrins malfaisants. Nous apprenons aussi que Boutefeu s’apprête à partir vers l’hôpital militaire de Tarbes pour y recevoir d’autres soins. La blessure semble plus grave qu’elle n’en a l’air. Il la tient sa pension de 200 francs !


15h00 : Nouvel exercice d’abordage. Durant l’assaut, le matelot L’Octroi voit son grappin s’détacher du vaisseau ennemi (muret). Il cheut lourdement sur le pont du navire (sol poussiéreux), lui qui venait de se remettre d’une ancienne blessure de guerre. Mais durant la bataille on ne s’arrête pas parce qu’un type tombe. Nous chargeons l’ennemi fictif qui succombe sous nos semblants de coups. La victoire est de nouveau à nous, mais elle a un goût un peu amer. Notre camarade mortellement blessé eut droit à un bel éloge de la part de not’chef. Nous entonnons ensuite une Marseillaise, un Chant du Départ et une Zoubida. On est comme ça, d’incorrigibles sentimentaux. Son corps est jeté sans ménagement à la flotte du haut des remparts, c’est la tradition chez les marins. En fait, on n’sait pas où l’mettre et il commence à sentir dur dur à cause du soleil !


17h00 : Début du démontage du camp. Avec Requiem et Trusquin nous retrouvons notre charroi qui n’a pas bougé d’sa cachette. Nous sourions de satisfaction. Le matelot Sans-Quartier est aussi très heureux car il a troqué sa vielle carriole contre un nouveau cabriolet, plus léger et avec plus de chevaux. Pour le retour, nous laissons l’conscrit Le Cadet au bon soin du Commandant. Sa civière de fortune, faite de branchages, est fixée, comme chez les indiens d’Amérique, en remorque derrière le chariot Super U- 8m³ à porte latérale. Nous nous saluons tous et chacun prend le chemin de son dépôt respectif.



Veuillez trouver ici, Mon Commandant, la fin de mon rapport, d’une honnêteté à toute épreuve.



L'appointé-caporal :

Sylvain dit Mieux-Vaut-Tard

Bafouille : Mieux-Vaut-tard

Transformation & censure impériale : Lumière céleste

Corrections : La Royale ou Main-Gauche



 

Journal de marche du Sergent Tire-Bourre, chef du 1er canon de la 1ère Batterie, 1ère Compagnie du 3ème Régiment du Corps Impérial d’Artillerie de Marine.


Le dix-septième jour de septembre de l’an XVIII.

Expédition Girondine, canton de l'estuaire à Blaye (La Gravelotte de l'ouest), du 14 au 16/09/2018.




Vendredi 14 septembre 16 h 30 : Je m’présente au haras impérial de Napoléon-Vendée pour harnacher mes 170 pur-sang (mules à navets) à nos avant-trains d’artillerie pour un départ précipité vers le sud, car pour nous aut’ le sud c’est tout ce qui est en-dessous d’Sainte-Hermine. Mais impossible d'ouvrir la grosse porte ferrée de l'écurie, même avec l’aide des palefreniers. Les canassons apeurés bloquent l'entrée, décidément c'est ben vrai qu’ces ch’vaux là sont plus intelligents qu'des hussards. Enfin bon, y z'ont pas de mérite on parle de hussards, mais on parlerait d’ceux d’la Garde Impériale que ce serait pareil ! J'm'en va donc utiliser une technique du Vieux, disons, de not’ commandant, c’est-à-dire « le détournement d’attention », pas d'inquiétude que j’dis haut et clair face à la porte, pour que les ch’vaux qu’ont d’grandes zoreilles entendent :

« J’vous mettrais dans un biau pré tout vert à trois lieues de not’ campement, et en pare-feu y aura le troupeau d’L'Etrille-Bancale, stationné à trente pas d’la tente de celui qu’on doit point nommer, c’est à dire (L. G.) pour ses petites fringales nocturnes, voire diurnes parfois » Rassurés, les portes se laissent enfin ouvrir et hop ! Direction la citadelle de Blaye où paraît-il l’Anglais s’rait en route depuis Bordeaux pour prendre la place. En chemin, j’fais abreuver mes bêtes dans un relais au nom familier d’Port d'Envaux où l’eau serait sans nitrate d’après l’vétérinaire du coin. Pas le temps d'enquêter, il faut reprendre la route du sud.


Le même jour, 19 h 00 : J’arrive devant la citadelle et tiens tiens ! Pas d’planton, pourtant la place est imposante, ses portes à pont-levis aussi, mais... là, au milieu d’la route il y a une sorte de… comment dire ? … une bite de 50 cm de haut, oui, une grosse bite (j’ai pas d’aut’ mots pour désigner c’truc qui m’rappelle celle d’un camarade matelot d’flottille, mais qu’est bien plus haute que ça !). Donc ce machin tout dressé me barre la seule voie d'accès à not’camp. Bon ! En attendant, sachant qu’il y a toujours du danger à chacun des camps qu’on fait, j’va déjà planquer nos bêtes et on cherchera une solution après ! Près d’une ruine, j'trouve un grand pré herbeux pour mes zanimaux avec de l'eau à profusion et voilà mes mules rassurées. D'ailleurs moi zaussi, car j’reviendrai point à pied chez moi, d’cet endroit du sud. J'arrive à l’entrée du campement et c'est avec joie, plaisir et sournoiserie que j’trouve le hussard L'Etrille-Bancale entouré des futurs casse-croûtes de L. G., mais il n’aime pas qu’on parle ainsi d’ces braves chevaux de guerre. Not’ hussard me donne le mot de passe pour faire disparaître l'obstacle phalusien ou jeancomien (qu’on trouve parfois en Écosse méridionale). 15.08, qui m’dit ! Évidement, c’est la date anniversaire de la naissance de l'Empereur. Quelle bonne idée ! Plus tard, j’me présente enfin à la tente du commandant. L’est un peu hagard. Il souffre déjà d'une blessure de guerre faite par … devant (ce qui est extrêmement rare chez les officiers de haut rang, mais pas l’not’ !). Voilà c’qu’il me dit :

Il aurait été blessé en combattant un indien séminole venu des Amériques avec d’anciens colons acadiens, après la vente de la Louisiane aux Américains en 1803. Bref ! Voyant not’chef en uniforme près d’un gros chariot qu’on appelle en terme militaire un Super U - 8 m³, son sang d’Peau-Rouge se s’rait mis à bouillir, et croyant voir un Anglois, il lui sauta dessus en hurlant avec son coutelas, et tenta de le scalper (c’est la tradition chez ces gens-là !). Not’chef, agile comme un guépard, évita presque le coup, mais une poignée de cheveux et son cuir (chevelu) restèrent sur l’arme du sauvage. L’individu maîtrisé en un rien d’temps (paf paf, couic !), not’ hardi chef lui dit en dialecte amérindien, car il connait plein d’langues.


Traduction en Français : « Mais t’es con l’Apache, tu crois qu’j’ai déjà pas assez perdu d’cheveux au-dessus d’la tête que tu veux m’enlever l’reste, faut’y être détraqué d’la calebasse. Aller, fous l’camp d’ma vue et r’tourne dans ta tribu … Hugh ! » On admettra cette version, qui sera désormais l’officielle (selon la censure de Fouchet), car d’autres, des mauvaises langues, des malfaisants, des jaloux, des mal pensants … disent qu’il se serait cogné la tête tout seul. J’en crois rien ! Car not’chef y sait pas mentir et n’est pas suicidaire non plus !

J’apprends aussi qu’not quartier-maître cambusier La Garouille aurait aussi une blessure à la tête. A l’heure du petit-déjeuner, le matin même chez lui, peu avant son départ pour Blaye, près d’sa cuisine roulante, il aurait voulu casser une petite graine sur une tranche de pain d’mie (l’aurait perdu quelques chicots à La Roche) et tenta d’chopper par derrière, une jeune et tendre jument, qui sentant l’danger, lui aurait collé ses deux sabots en pleine poire, alors qu’notre homme était encore en vol pour la monter en croupe. Choc brutal entre le fer des sabots et la tête dégarnie du Boucher spanguérien. L’cambusier, le visage ensanglanté n’a pas insisté, et aurait dit à la pauv’bête : « T’es déjà inscrite sur le menu d’lundi prochain sale bourrique ! » Cela fait deux blessés dans nos rangs, plus not’adjudant-sous-officier La Douleur qu’est retenu chez lui pour des indispositions. C'est dingue cette impression sournoise et persistante que tout ça va mal finir. Bref ! Mise en place de mon canon d’marine face à l'estuaire au cas où nos écrevisses de la Navy voudraient débarquer de c’coin là. Prise d’un frugal repas en compagnie d’la troupe et du commandant, qui tout près de moi se tripote la tête et les cervicales, qu’en auraient pris un coup lors du combat contre le Peau-Rouge. Plus tard je rejoins ma tente et m’étends seul sur mon pucier en comptant un par un, pour m’endormir, tous les canons d’la grande batterie d’la Moscowa (ou d’Borodino comme disent les Russiens (Russes), car j’aime pas l’sauté d’mouton.


Samedi 15 septembre 6 h 00 : Réveil, comme toujours, avant l’tintamarre du Trusquin et d’son tambourin. Je ravive les braises du feu, et j’mets une gamelle d’eau à chauffer. Tout est calme et y fait encore tout noir et frais. J’ai envie d’gueuler : « Il est 6 heures et tout va biennnn ! » mais j’ai peur d’prendre un coup d’fusil à travers une tente. Mis à part les Breuuuu répétés des ch'vaux effrayés dans leur enclos plus bas, la nuit fut calme. Préparant mon café-noisette, j'enlève les quelques cadavres prussiens du régiment Von Kronenbourg, prisonniers, emmenés avec nous pour que les hommes du bataillon fassent joujou ou mumuse, la plupart sont encore des gosses, et il faut bien un peu de distractions dans les camps. (Rappelez-vous les troupes du guénérale Von Kantterbrau liquidées promptement à Mouillepied). Je mets en place le petit-déjeuner pris à la cambuse, c'est-à-dire le pain d’guerre, le beurre rance, le saucisson aux vers, des oignons pourris, du lait caillé et une poignée d’salpêtre pour sucrer l’jus d’chaussette. Moi en bon canonnier, j’suis autonome avec mes noisettes, ou plutôt café-noisette, c’est plus clair comme ça !


7 h 00 : Le soleil se lève enfin, en même temps que la troupe. Le commandant a sans doute réfléchi toute la nuit, car il a la coupe de ch’veux à la Tintin, voire à la Cosaque avec sa touffe relevée. Ou bien, il s'apprête à rentrer dans les ordres, sa soudaine tonsure sur le crâne rappelle certains moines espagnols. Que nenni, il est déjà Dieu, y n’va pas s’dégrader pour être un simple curé. A mon avis, la douleur lui rappelle son valeureux combat contre Sitting-Bull l’Indien d’hier. Il n’arrête pas de s’caresser le scalp, tout pensif.


10 h 00 : Levée des couleurs, les deux : françaises et portugaises. Bla bla sur l’organisation de la journée, inventaire de la soute à poudre, préparation des gargousses et des grenades, bref, le quotidien du canonnier en campagne !


13 h 00 : Repas préparé par not’cambusier. On vérifie tout d’même l’intérieur de la gamelle. Cuisses de poulets et légumes verts. C’est bon ! Pas d’canasson dans l’bouillon. Nous remarquons la présence d’une jeune drôlesse avec un havresac de soldat sur le dos. Renseignements pris, elle serait une pèlerine qui souhaite rejoindre, à pied, le bled de Saint-Jacques-de-Compostelle en Galice près de la Corogne où not’ Soult a foutu la pâtée à un certain général rosbif nommé John Moore. Nous l’invitons à partager notre auge et not’ pain d’guerre. Elle est ravie de cette initiative.

Au cours d’la conversation elle dit qu’ses ancêtres seraient tous des Gaulois, car son prénom est Alix (curieux raccourci que j’me dis !). Selon la règle tout mot qui finit en X est automatiquement gaulois, sauf Matrix, Manix, jailatrix et Jeancomix qui eux sont Anglo-Saxons, comme vous l’savez !


14 h 00 : Reprise des manœuvres et des exercices sur le terrain par l’enseigne de vaisseau La Grenade. Le commandant est sous sa tente à travailler dur dur, car il s’gratte souvent la tête, à moins qu’ce soit l’mal aux ch’veux, quoi qu’il ait bu que d’l’eau à table.


15 h 00 : Simulation d’abordage avec canonnade, mousqueterie, lancés d’grappins et d’grenades à main avant l’abordage terrible au sabre, coutelas, haches et … cils pointus, sur un hypothétique vaisseau rosbif de la Navy, le tout, sous les ordre de l’énergique enseigne de vaisseau La Grenade, qui fier zet hardi, su vaillamment mener sa troupe de marine à la victoire, tout en restant avec son gros porte-voix en cuivre à l'abri derrière la batterie de canon. Faut bien préserver le seul vrai chef marin d’l’équipage.


19 h 00 : Fin des manœuvres. Le vaisseau ennemi ayant disparu avec son équipage entre la murette et les rangs de vigne, les matelots couverts de sueur s’en retournent au camp qu’ils n’avaient d’ailleurs pas quitté car, comme le rappelle le lieutenant, il s’agissait d’une simulation, nom technique pour dire que c’n’est pas du vrai combat. Les patrouilles sont de retour, les faisceaux de fusils sont formés, les cavaliers ont pansé leurs montures, bref, on va s’reposer un brin et s’décrasser la glotte avec le médicament tout frais, qu’est habituellement réservé au commandant. D’ailleurs, j’va lui remplir son godet, histoire qui s’rappelle de son fidèle sergent, au cas ou une place de lieut’nant s’libèrerait dans l’corps du 3ème d’artillerie de Marine.


20 h 00 : Popote sous l’tivoli d’la cambuse, puis dodo sur mon pucier dans les bras d’Morphée, enfin j’suis pas seul cette nuit ! Plusieurs matelots discutent autour du feu de bois. Tout semble trop calme, la jeune troupe est fébrile, un parfum de sang mêlé de houblon plane au dessus du pavillon. Au bout d’un moment, j’demande à Morphée d’quitter ma tente, j’en peu pu ! J’ai une tendinite au poignet gauche, j’peux plus lire le bouquin avec les images (Blanche Neige et les Sept Mains) qu’on m’a prêté. Tant pis, j’dors seul encore ce soir !


1 h 00 du matin : C'est-à-dire une heure après celle dite du Crime. Un cri horrible raisonne dans la nuit noire, le canonnier Boutefeu semble avoir été agressé par de vils saboteurs anglois qui s'en prenaient aux haubans du tivoli (quelle drôle d’idée !). D'après lui, à vue d’nez, ils étaient hou la la, disons très nombreux. Exploit réalisé sous les yeux médusés du commandant, qui, dans la pénombre n’a pas vu les agresseurs, mais seulement le canonnier étendu face contre terre. Il ne manquera pas de noter tout ça dans son rapport. Boutefeu étant une vieille moustache et un vaillant soldat qui a toujours eu du nez pour se mettre dans des situations de combats impossibles. Plus tard, les infirmiers du Service de santé se sont occupés du nez de Boutefeu, comme de la caboche du commandant.



Dimanche 16 septembre 6 h 00 : Réveil, comme toujours, avant tous les autres. Je relance le feu en soufflant sur les braises et j’ajoute quelques bûches, puis je dépose la gamelle de flotte à chauffer. L’aube se lève doucement et le ciel s’éclaire vers l’est. Tout est calme dans ce reste de pénombre. Nuit calme, aucune autre victime à déplorer. Les chevaux n’ont pas bougé de leur enclos, mais sont-ils encore là ? J’enlève quelques vestiges de la soirée d’hier qui étaient sur la table. J’mets en place ce qui reste pour le petit-déjeuner, pris dans la tente « Réserve » de la Cambuse : pain d’guerre plus que rassis, morceaux d’oignons pourris, beurre (non saindoux) salé à la poudre et ultra rance (garanti Poitou-Charentes), marmelade de fruits dont l’odeur insoutenable m’est inconnue. Est-ce vraiment des fruits là-d’dans, que j’me dis ? Bof ! M’en fous ! J’me suis préparé une petite noisette, (attention, pas une liqueur, mon café-noisette perso, j’voulais dire !).

Sur le sol près du tivoli subsiste une mare de sang séché, espérons qu’La Garouille ne voit pas ça, car nous aurions du boudin au menu d’ce soir (je lui dirai qu’c’est du sang d'Anglois, il y touchera pas !)


7 h 00 : Le soleil se lève enfin, mais pas les jeunots d’la troupe. L’commandant sort la tête de sa tente et il semble avoir beaucoup réfléchi c’te nuit, Il me regarde en touchant sa touffe cosaquienne et m’dit qu’les faux tifs ne sont pas toujours coupables ! Ah ah ! J’ai rien pipé mot ! Mais ça y est, que j’me dis, l’est d’venu fou ! Ben non ! C’était une blague à la con, sa spécialité !


9 h 00 : Le soldat Boutefeu quitte le camp et rejoint la tente du Service de santé, pour des soins dit-il. Il va d’mander une attestation d’blessure par devant pour tenter d’obtenir la Croix des braves, mais surtout les 200 francs d’pension qui vont avec. L’commandant, qu’en a déjà eu trois (Légion d’Honneur) durant sa carrière, le rejoint, y voudrait bien lui, obtenir son bout d’terrain en Westphalie, promis par le Patron depuis l’Camp d’Boulogne il y a des lustres. L’est têtu l’Chef !


10 h 00 : Reprise des manœuvres et tout l’tintouin militaire qui va avec.


11 h 00 : L'ouvrier-conscrit Le Cadet se présente promptement au commandant, les yeux rougis de larmes. Il dit souffrir d'une horrible estafilade sur un d’ses membres supérieurs. On appelle aussitôt l’chirurgien major de la place. Ce doit être grave ! Voyant la terrible blessure, le toubib (c’est l’nom qu’on donnait à nos médecins en Égypte) propose l’amputation du membre traumatisé, ou la cautérisation au fer rouge, voire une saignée d’au moins quatre litres. Mais l’commandant tenant apparemment à ses jeunes recrues dit : Qu’on m’apporte une pince à épiler et j’va r’tirer l’pieux qu’est dans son doigt ! Au moment d’l’opération, sans même le toucher, l’jouvenceau tourne de l’œil. Ça y est, qu’on s’dit, l’a cassé sa pipe le mioche ! Ben non ! En deux temps, trois mouvements, c’est guéri ! Désinfection au Rhum Coca (dommage !), chiffon d’jupon d’cantinière vierge pour préserver la plaie des saletés, et un p’tit bisou d’Requiem sur le doidoigt, contre la grogrosse douleur. Le survivant Cadet quitte la tente du commandant en… boitant (curieux !)


13 h 00 : Repas froid. Alix, le sac sur le dos, nous fait ses adieux et reprend sa route vers l’Espagne. Notre camarade canonnier Boutefeu, le visage tuméfié, comme notre idole Nicolas Chauvin, devrait (au conditionnel, comme d’habitude) obtenir, pour prix de ses valeureux services, un sabre d'honneur, le fameux ruban rouge avec sa Croix des braves, deux cents francs de pension (moins la CSG). Il quitte le camp prématurément pour rejoindre l’hôpital militaire de Tarbes où de nouveaux soins lui seront prodigués ? Boutefeu c’est "UN VRAI CHAUVIN" !


15 h 00 : Renouvellement de la simulation d’attaque d’un navire ennemi. Tirs au canon, jets de grenades à main, mousqueterie, lancés de grappins et héroïque bordage du frêle esquif rosbif où notre lieutenant toujours fier zet hardi comme chaque année le 31 du mois d’Aoûûûût, sut encore vaillamment mener ses matelots à la victoire. Toutefois, dans cette héroïque action de guerre, nous zeûmes à déplorer la perte du matelot L’Octroi, tombé au champ d'honneur, ou plutôt à la mer (en vrai, c’est du mur qu’il a chu !). Il venait tout juste de sortir de convalescence, suite à d’autres blessures de guerre.

Le commandant fit un éloge funèbre et dit : « Brave matelot rochelais L’Octroi, que tes compagnons surnommaient amicalement dans ton dos l’Écotaxe-de-Ré, nous ne t'oublierons jamais ! » Le tout suivi, haut les cœurs, d’une Marseillaise, du Chant du départ et d’une Zoubida à faire fondre en larmes les plus durs d’entre nous.


17 h 00 : Après avoir jeté le corps de notre malheureux compagnon L’Octroi par-dessus le rempart (on n’a pas d’frigo pour l’ramener !), le sergent note sur le registre des présents, que L’Octroi n’est pas v’nu à c’camp là.


Début du démontage du bivouac, je file illico récupérer mes 150 bourrins dans le pré. Quoi… 150 ?! « Vérole de cul d’mouton, le Salopiau des Carpates, le Vil gredin des Charentes, le Gargantua d’ la barbaque, L'Hannibal équin du Tonkin, et j’en passe ! ». 20 pur-sang d’mules, y m'en a tiré 20 ! Mais comment il fait ?! Faudrait que j'dise à L'Étrille-Bancale qu'il ramène un peu plus d’chevaux la prochaine fois ? Mais passant d’vant son bivouac, j’le vois à genoux, pleurant à chaudes larmes devant quatre chevalets sur lesquels sont posés des chabraques en peau d’mouton et des harnachements. Il dit qu’l’enclos est vide et qui n’sait pas où sont ses bêtes de guerre. Il prie saint Barnabé, saint François d’Assise, saint Romain d’Benet… bref ! Tous les saints du ciel disponibles pour que ses mamours de chevaux reviennent. Tous nos yeux s’portent vers La Garouille, à l’aut’bout du camp, mais l’cambusier range ses affaires tranquillement. N’pouvant rien faire de plus pour not’pauv’hussard, j’continue à charger mon charroi et à atteler l’reste de mes mules au train d’artillerie. Puis, après les zau-revoir d’usage, j’reprends la route du nord jusqu’à ma guérite fortifiée.



Bilan :

85 cartouches de fusils, 10 gargousses de canon et 25 grenades à main.

1 silex remplacé et 1 mordache.

5 blessés : 1 jambe, 2 scalps, 1 tarin et 1 doigt.

1 mort : tué en « mer » et 1 grappin perdu (perte retenue sur la future pension de reversion à son ex-future épouse).



Veuillez trouver ici, Mon Commandant, la fin de mon rapport sincère, sans menterie aucune.

Sergent de la 3è compagnie d'artillerie de marine :

Fred Tire-Bourre

Bafouille : Tire-Bourre

Censures fouchesques et transformations : Lumière-Céleste

Corrections : La Royale

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