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La Marine à Soria

Voici deux journaux de marches de nos soldats afin de représenter leur vision de la bataille de Soria 2019. Ils sont toujours écrits sur le ton de l'humour.

Bonne lecture !

Photos © Valischka

Journal de marche du caporal fourrier Requiem.

2ème compagnie du 8ème Bataillon d’Ouvriers Militaires de la Marine,

dit « Bataillon d’Espagne »



Soria 2019

Province espagnole du Léon



« Ma c’homandant, me ‘meus kaset ma dezrevell ! »*

*Traduction : Mon commandant, je vous envoie mon rapport.




Le 3 avril, de l’an XIX




Le mardi 26 mars : Je reçois l’ordre du sergent-major de notre compagnie de préparer mon barda, car le bataillon doit se rendre en Espagne, plus précisément à Soria, dans la province du Léon. Le départ est prévu au siège du bataillon, à Échillais le vendredi 29 mars, tôt dans la matinée. Cette petite ville de Soria fut prise en 1810 par nos marins du 44ème de flottille sous les ordres du capitaine de vaisseau Baste. Nous y avons conservé une petite garnison pour escorter les convois qui passent par là, la guérilla étant fort nombreuse et active dans la région.



Le mercredi 27 mars : Soit deux jours avant le départ, alors que je préparais mon matos de survie pour terrain hostile, je constatais deux fâcheux désagréments, dont le premier était que mes chaussures de cuir cloutées à bouts carrés, type tous-terrains étaient moisies. J’avais oublié de les sécher et graisser après notre dernière campagne pluvieuse d’Astorga. A noter que le marin lambda ne prête guère attention aux problèmes d’humidité étant constamment dans cet état de moiteur fort désagréable sur nos rafiots. Alors vous comprendrez bien, Mon commandant, que je n’y fisse point attention, bien qu’il fût aussi de mon devoir de veiller au bon état des effets confiés par l’administration de la guerre. De plus, je n’avais aucune excuse en tant que fourrier. (Nota : même lettré, j’ai du mal à écrire de pareilles phrases !). Mon second souci a été la disparition de mon plumet rouge. J’ai cherché, remué oabl et doar (ou douar), c'est-à-dire ciel et terre en breton vannetais, pour retrouver cet attribut nécessaire au corps d’élite dont je fais partie. Les pékins n’appellent pas ça plumet mais plumeau, sorte d’objet ménager nécessaire aux bonnes femmes pour dépoussiérer leur intérieur. N’importe quoi ! Après de longues minutes passées à faire des recherches, je me suis décidé à partir rejoindre le caporal Trusquin qui m’attendait au relais de Pluneret (un trou perdu du Morbihan). Ainsi, j’ai pris la malle-poste qui m’a mené jusqu’au lieu du rendez-vous au bourg précité. Il n’y a eu aucun accroc durant ce cours trajet.


Arrivé au lieu convenu, le caporal Trusquin et moi avons chargé notre barda dans le chariot puis nous avons pris la grand’ route en direction du sud, sis au dépôt du port de Rochefort. Pendant que Trusquin tenait les rênes, j’étais sensé contrôler et diriger notre marche dans la campagne à l’aide d’une carte géographique Cassini de type GPS. Hélas, le sens de l’orientation, commun à toutes les « personnes comme moi », ne m’étant pas inné, j’ai confondu une route à un croisement, ce qui nous a obligés à rebrousser chemin après la vue du panneau indicateur Strasbourg. Revenant sur nos pas et en nous aidant d’une boussole nous prenons le cap sud-sud ouest, en traversant les villages de Coulon, Repentir et Magné. Imaginez nos propos de soldats incultes à la traversée de ces bourgades au nom particulier : « Nous Coulon(s) un bronze sans se Magné(r) pour nous Repentir ! Ha, ha ! ». L’élégance à la française ! Nous sommes enfin arrivés et tardivement chez not’ commandant, dont la demeure cossue est toujours reconnaissable dans le canton pour ses colonnades de marbre blanc. La grille du parc était fermée ! C’est étonnant, que j’dis ! Une rumeur dans la compagnie dit que not’ brave chef garderait deux félins noirs sensés traquer les rats qui infestent le coin. Bref ! Le planton de service est arrivé et nous a fait entrer vérifiant auparavant la validité de nos ordres de route. Après les saluts et présentations d’usage, nous nous sommes installés dans la grande salle à manger, dont on ne voyait pas le bout en raison de la pénombre. Nous avons fait la causette à la lueur des candélabres jusqu’à la limite de l’aube assis tout près de la cheminée où brûlaient des troncs d’arbres. J’en ai profité alors, m’apercevant que les paupières de not’ Lumière Céleste de chef s’affaissaient doucement par le sommeil, pour lui glisser à l’oreille en souriant et en me penchant délicatement pour laisser apparaître le tatouage dessiné sur mon torse, la perte de mon plumet rouge. Sans sourciller, il s’est levé et est allé au petit dépôt de la compagnie en chercher un dans le stock de plumets. Et là extrême surprise, il me ramène le… mien ! Mais comme les caporaux et sergents portaient des plumets noirs, on a fait l’échange immédiatement et mon plumet rouge a retrouvé ses copains du dépôt (Nota : J’ai tout noté les numéros dans mon cahier de service). Nous avons fini par aller nous coucher dans le dortoir mis à notre disposition, car le lendemain il y avait du travail avant de nous rendre en Espagne.


Le jeudi 28 : Après le café matinal, nous avons décidé de préparer le matériel et de vérifier les fusils, nettoyés la veille approximativement par l’ouvrier Le Cadet. Hum! Le caporal Trusquin a continué de les chauffer à la loupe pendant que je m’attelais à coudre mes nouveaux galons ou sardines sur mes avant-bras, avec l’aide précieuse de not’ divin et éclairé chef qui sait tout faire ou presque. Puis nous sommes allés chercher nos chariots au dépôt U du Train du génie d’Échillais. Un des chariots n’a pas été facile à récupérer car le gardien du grand dépôt U de Tonnay-Charente pinaillait sur l’ordre de réquisition qui n’était pas conforme à ses yeux. Le commandant a commencé à négocier ferme avec l’individu borné, puis, un tantinet énervé, a enfin fait péter ses galons. L’autre, voyant les épaulettes dorées à gros bouillons, s’est redressé brusquement, a claqué des talons, a ajusté son bonnet de police et a salué en s’excusant. Les chevaux attelés nous avons pris la route d’Échillais « skarzhañ reamp kuit e-giz al luc’hed ! » (en bon français, on a détalé plus vite que l’éclair). Dès notre arrivée, nous avons commencé le chargement des chariots, pour partir à la hâte très tôt le lendemain matin.


Le reste du détachement d’ouvriers et de marins arrivé, nous avons chargé les derniers effets et armements à tel point que tout ce bordel touchait le haut de la bâche couvrant notre chariotes, ar c’harr gentañ (première charrette). Il a été décidé que je prendrai les rênes du second attelage. A l’octroi de Pons, juste après Saintes, nous avons réquisitionné quelques paillasses (ou puciers) prêtées par notre cantinière Pic-Rose du petit dépôt de Saujon. Nous avons récupéré d’autres compagnons au relais de Mérignac à Bordeaux, puis nous sommes arrivés à celui de Bidard près de Biarritz (ville fétiche du neveu du Patron) où nous avons retrouvé le matelot Sans-Quartier, le quartier-maître Campiston, l’ouvrier La Menuise et le canonnier Boutefeu, qui étaient en train de picoler un p’tit pinard du cru et de s’enfiler de la charcutaille du terroir ! On n’peut pas leur en vouloir, surtout qu’ils ont partagé leur repas, tout en causant de leur vie dans le Béarn et le pays Basque. Bref ! Après cet arrêt bouffe, tous avons embarqué aux places disponibles dans les deux chariots. En chemin nous avons chanté à tue-tête au point que nos compagnons de route ou d’infortune n’en pouvaient plus tellement leurs tympans vibraient. Je crois même que certains voulaient nous foutre par-dessus bord jusqu’au fond des profonds ravins pyrénéens.


Le vendredi 29 mars : Après de nombreuses heures de route, nous sommes ENFIN arrivés à Soria… Hélas, bin trop tôt, car nous avions le choix entre deux routes selon la carte Cassini / GPS, la plus courte ou la plus rapide. Nous avons choisi la seconde au grand dam du commandant. Bien entendu, personne ne nous attendait à la caserne et le planton n’avait reçu aucune instruction nous concernant. Une estafette du colonel Diego est venue nous informer qu’il fallait revenir plus tard. Bon ! Nous avons décidé de nous rendre à un dépôt local du Train d’artillerie pour donner du fourrage à « nos bêtes », et faire le plein de nos gosiers asséchés. Puis, au retour en ville, nous avons stationné nos équipages dans la cour de la caserne (sous bonne garde, car notre cambusier La Garouille dit la terreur des équidés, était là !). Nous sommes tous partis à la découverte de cette cité hostile, mais occupée par nos troupes depuis 1810. Le commandant nous a offert le quartier libre et chacun a cherché une cantina pour se dépoussiérer la glotte. Un peuple nombreux faisait la queue devant toutes les tavernes du coin et se retournait pour nous observer. Ces pauvres gens devaient être en quête de nourritures et de boissons. Saleté de guerre ! Nous avons enfin trouvé un troquet à notre goût et surtout peu peuplé, sans doute à cause de la présence de soldats français. Le quartier-maître Campiston et l’ouvrier La Menuise se chamaillaient comme d’habitude, pour savoir qui, de l’un ou de l’autre, paierait la tournée. Après une lutte à mort du regard, c’est La Menuise qui a sorti sa bourse. Tout le monde se marrait de cet épisode béarnais pittoresque. Il a fallu repartir vers la caserne où j’espérais retrouver d’anciennes connaissances rencontrées à Astorga l’année dernière, c'est-à-dire les jeunes et beaux fantassins polonais de la Vistule. Hélas, ils étaient ailleurs à se battre contre les Anglais. Il n’y avait ici que des Français et des Espagnols, et pas l’gratin, j’vous jure ! Tant pis !


Nous avons installé nos paillasses dans une chambrée, puis, en tant que caporal-fourrier, j’ai distribué des effets de remplacement à certains compagnons. Nouveau quartier libre pour la soirée, qu’il dit le commandant. L’intendance du maréchal Ney n’avait pas prévu la popote ce soir là. Notre escouade « mixte » d’ouvriers et matelots a quitté la caserne en la quête d’une bonne pitance et peut-être de divins mojitos de derrière les fagots ? Nous sommes arrivés dans une cantina nommée le Pisci où le tenancier, au visage « pas tibulaire » mais presque, nous a dit de revenir plus tard parce que nous étions trop nombreux et surtout que le service, en Espagne, était traditionnellement tardif. Étant les envahisseurs, nous aurions pu, grâce à nos fusils, exiger un service immédiat, mais magnanimes, nous sommes repartis à la recherche du camp et du futur champ de bataille, histoire de voir où certains d’entre nous seraient peut-être allongés deux pieds sous terre. Après tout, il était prévu de faire un repérage des lieux pour récupérer la poudre le lendemain matin à 8 h 30. Not’ chef a discuté un moment avec le colonel Diego du 34ème de ligne, l’ouvrier Catalan Iván dit Cataluña lui servant de traducteur. L’heure dite tardive de la pitance approchant, nous sommes retournés jusqu’au Pisci. Les compagnons et moi avons décidé de prendre un apéro local, hélas sans mojitos. Puis j’ai posé mes coudes sur le comptoir. C’est à cet instant que ma force herculéenne a surgi d’un seul coup du néant. En effet, le quartier maître Campiston a proposé à tous du gwin ruz, c’est-à-dire du vin rouge. J’crie assoiffée « MOI ! » en tendant d’une main frêle un verre à pied en cristal de machin. C’est en posant tranquillement ce fragile et transparent objet sur le zinc du comptoir qu’il a explosé net ne laissant que du verre pillé dans ma main. « Putain ! » que j’me suis dit, casser du verre blanc c’est 7 ans d’malheur selon le dicton. Hébétée, je suis restée là, la main tendue et vide alors que les compagnons rigolaient de ma déconvenue. Le sergent a demandé un autre verre en ajoutant au serveur espagnol que je ne sentais pas ma force. Ce dernier m’a reluqué, de la tête aux pieds, de ses yeux de bovins, sans rien comprendre à la situation.


Passant dans une autre salle, nous nous sommes réunis autour d’une grande tablée pour choisir des mets locaux à nous mettre sous la dent. Un des plats proposés a attiré l’attention de quelques compagnons, les patatas bravas. Assiette composée de patates dorées recouvertes d’un dôme de mayonnaise et d’une pointe de sauce piquante. Que nenni ! J’ai évité de prendre ce piquant plat, qui me rappelait malgré moi la fin des combats dits à la fourchette, c'est-à-dire à la baïonnette et surtout les démangeaisons nocturnes au fondement. Comparaison douteuse me direz vous ! Les panses bien remplies, nous avons retourné nos poches afin de rassembler les quelques Napoléon en bronze qui restaient de notre maigre solde. On a réglé la note au ténébreux aubergiste, puis nous avons décidé de retourner à la caserne afin de faire quelques ablutions, histoire de ne plus sentir le chacal et mourir beaux demain sur le champ d’honneur. La « salle de bain » proche de notre dortoir se composait de plusieurs grandes bailles d’eau tiède recouvertes de draps sales, où de nombreux soldats venaient s’y tremper les fesses à tour de rôle. J’y trempais les miennes en me frottant le corps avec un vieux savon graisseux qui ne venait certainement pas de Marseille. Très à cheval sur le bon état de mes chicots (car ils sont utiles pour déchirer les cartouches), je cherchais dans la caserne de la pâte à dent. Hélas, cette chose étant inconnue dans ces contrées lointaines, j’utilisais, ce qui me tombait sous la main, c’est-à-dire du blanc d’Espagne mélangé à du vinaigre d’échalote. Beurk ! Cette mixture improvisée a permis cependant de cacher l’odeur fétide de mon haleine de Covbois, sorte de vachers des Amériques (cowboys en français !).


Le lendemain, aux aurores, le tambour battait la diane. Les troupes de marine étaient les premières sur pied. On a enfilé en hâte nos capotes et avons filé dare-dare vers le camp dans l’espoir de prendre notre petit déjeuner, sorte de véritable friko (festin) pour le Français de base. Las ! Quel malheur, ils n’avaient pas nos traditions culinaires les péones de c’pays là. Le cambusier espingo du coin, a versé dans nos gobelets un erzat de café bien trop sucré à notre goût, d’ailleurs nos cuillères pouvaient rester plantées dans cette mixture noirâtre, accompagnée de ce qu’ils appelaient ici des viennoiseries, nom pompeux pour des sortes d’immondes gâteaux… également trop sucrés. Le diabète doit faire autant de ravages que la grippe dite « espagnole » dans ces contrées désertiques. Ce machin liquide avalé vite fait, j’ai été missionné pour récupérer la poudre au dépôt d’artillerie. J’emmenais l’ouvrier Cataluña pour m’aider à transporter nos futures munitions de guerre et faire le traducteur. De retour du dépôt d’artillerie, plusieurs hommes étaient désignés pour confectionner les cartouches. Le quartier-maître-canonnier Lapérouse dit aussi Le Lord de Jeancomie (canton écosso-breton dont la devise est : Liberté & Débandance, Hourrrââ, hourrrââ.), n’étaient point des nôtres, dommage ! Mais le caporal Trusquin et le canonnier La Bombarde étaient du nombre eux. C’est alors que je me rappelais qu’une caissette d’étuis de cartouches vides était encore au dépôt de la caserne, bah, tant pis ! Une fois la confection des cartouches achevée, la distribution était effectuée dans chaque giberne. « Rassemblement ! » qu’il a dit l’enseigne de vaisseau La Grenade. Décrassage et école du soldat, « et qu’ça saute ! » qu’il a rajouté. Nous avons commencé les exercices dont l’escrime. Autour de nous plusieurs soldats d’autres corps nous regardaient, dont un hussard à… pied. Mince ! Que j’me dis, j’espère qu’il n’a pas croisé La Garouille, sinon l’est foutu son canasson.


Les trompettes résonnaient et les tambours battaient le rappel. Les officiers nous ont mis en ordre de bataille. On s’est exécuté, pas le choix ! On est passé du centre à l’aile gauche, pour revenir sur celle de droite. Nous on a suivi les ordres ! La flottille est passée en mode « voltigeurs » et nous autres ouvriers avons couvert leurs fessiers. La bataille a commencé, les canons crachaient leurs feux, nos rangs fusillaient l’ennemis, mais v’la t’y pas qu’mon Henri (surnom de mon fusil) fait sa vie. Il a décrété de ne plus tirer. Son silex était déjà mort après deux coups de feu. Je me suis donc mise en retrait en ordonnant à mes ouvriers de « serrer les rangs » histoire de combler le vide que je laissais dans le petit cœur de mes compagnons mâles mais, surtout pour changer ma pierre. Cette action faite, j’ai repris ma place dans le rang.


Après plusieurs assauts et replis, nous avons appuyé nos compagnons matelots en tirant des feux de file continus sur des guérilleros imprudemment avancés. On a croisé la baïonnette et sommes partis au contact bouter cette engeance armée de fourches, piques et coutelas. Le caporal Trusquin et moi-même hurlions de tenir la ligne et de serrer les rangs. Certains camarades, trop vaillants sans doute et impatients d’en découdre, se trouvaient au-delà de notre ligne de bataille et subissaient l’assaut de plusieurs furies ennemies armées jusqu’aux dents. J’apercevais l’une d’elles me viser et tirer à bonne distance. Moment tragique ! La balle est venue s’écraser au croisement de mes baudriers de buffle. Je suis tombée à terre, ressentant une vive douleur au thorax. J’suis foutue que j’me dis ! J’allais rejoindre les célestes verts pâturages de ma Bretagne d’antan. Amen ! Mais c’était sans connaître notre Dieu à nous aut’ les marins, non pas celui des mers Neptune et son trident, mais not’ Lumière Céleste de chef et sa canne à tête d’aigle, qu’a le grand pouvoir de ressusciter les mourants d’son bataillon. Il a ordonné à deux hommes de me ramener derrière nos lignes au péril de leur vie. J’n’étais point mort, ouf ! Mais bin triste, tout de même, d’avoir loupé le meilleur du combat. D’un coup, j’paniquais en voyant l’chirurgien-major qui venait vers moi, il allait tenter de soigner ma blessure située près de mes fameux pectoraux, donc me dévêtir un brin, et là, le secret de mon genre allait vite s’éventer. Coup de bol pour moi, mais pas pour lui, en se penchant, sa tête est emportée par un boulet. Ouf ! Quelle aventure ! Cependant, je tenais aussi à vous signaler, Mon Commandant, que je n’avais guère eu le temps d’analyser l’architecture des monuments et maisons du bled, ni du terrain, ni rien d’autres d’ailleurs, comme à Astorga.


Après la bataille, retour au camp, car l’heure du repas avait sonné. Au menu, haricots blancs dits pétous avec des morceaux de viande et de légumes, du pain d’guerre et de l’eau plate. Le tout était vite engouffré, cependant, j’me disais que bientôt « bonjour l’odeur dans les rangs ! », pire que le gaz moutarde plus tard en 14 ! D’autres compagnons ont réussi à dégoter du pot-au-feu et du pinard, pillés dans la carriole d’un cantinier portugais qui passait par là. Je n’vous l’écris pas en breton c’te fois, j’fatigue ! Bref. On terminait notre frugal repas et j’allais voir le lieutenant La Grenade et le QM Campiston pour s’entraîner au sifflet d’bosco. Il s’en est suivi un spectacle de pitreries sans nom qui nous a donné le sourire aussi lumineux que celui de not’ chef. Puis, voyant une partie de l’équipage s’ennuyer à la garde au drapeau, nous avons décidé de nous entraîner au maniement du sabre d’abordage sous les regards goguenards des soldats des autres corps dont beaucoup faisaient la sieste dans leur tente. D’ailleurs, un fantassin s’est joint à nous, il serait originaire de Toulouse (fait rapporté par Mieux-Vaut-Tard, une vraie concierge c’t’homme là !). On rigolait un peu trop de ce qu’on prenait pour un pov’ fusilier, c’est alors que notre enseigne de vaisseau bienveillant a décidé de nous faire croiser le fer contre cet inconnu, histoire de l’instruire. Il nous a mis une sérieuse raclée, mais ça n’a pas enlevé not’ joie d’vivre ! Après tout, on avait bien survécu au « vrai » combat. Plus tard, ordre était donné de s’équiper en grande tenue c'est-à-dire de se changer en hommes des plus beaux, des plus séduisants, des plus impressionnants ! Cet uniforme de marins était sensé faire tomber les dames. Personnellement, j’aurais préféré faire tomber ces… messieurs, si vous voyez ce que je veux dire ! On a défilé dans les vieilles rues de la ville, on a présenté les armes devant certains monuments, on a écouté de nombreux et longs discours en espagnol, puis on a fait une grosse salve d’honneur en mémoire des anciens ennemis respectifs rappelant que la paix c’était mieux que la guerre. Après s’être bien caillé les miches dans les courants d’air, nous sommes retournés à la caserne, afin de profiter de notre dernier quartier libre nocturne.


Dimanche 31 mars : Dernier jour. Le tambour battait la diane. Difficile de se lever. Plusieurs compagnons on préféré le chaud pucier à l’horrible petit déjeuner hispanique. Je m’y rendais espérant trouver autre chose que du jus de chaussette infecte. J’ai assisté à un spectacle burlesque, car le matelot Sans-Quartier autoproclamé l’ange gardien culinaire du commandant, lui a arraché des mains un bout de lard grillé et l’a mangé devant lui, histoire d’empêcher son diabète de grimper en flèche. Bien que, comme moi, elle n’en avait pas, il aurait fallu qu’elle en ait pour se risquer à un tel geste d’insubordination. N’ayant plus de cartouche dans nos gibernes notre matelot a évité le peloton d’exécution. La générale a sonné. Il fallait y retourner, on nous a dit que le corps espagnol s’était enfermé dans un camp fortifié. Distribution des cartouches et on est retourné au combat. Aucun mort à déplorer cette fois. La flottille voltigeait et nous protégions leurs fesses. On soutenait les brigades et pièces d’artillerie en tirant sans discontinuer sur tout ennemi à portée. Après plusieurs assauts infructueux contre les barricades tenues par de courageux hispaniques, la dernière charge a enfin été victorieuse pour nos aigles, et notre brigade de marine a investi la redoute à la baïonnette, renversant tout sur son passage. J’ai entendu mon camarade Mieux-Vaut-Tard dire ces mots à un brigand qu’il assommait à grands coups de crosse: « Alors, ça fait quoi de perdre ? ». Un autre, plus loin a dit : « Rappelez-vous du vase de Soisson !? ». Ce qui était complètement anachronique pour ce combat là. Les combats ont cessé, les officiers des deux camps se sont salués cordialement. Nous autres les soldats, avons aidé les « morts » à se relever, tous se sont s’embrassés après s’être « massacrés » quelques instants auparavant. On s’est échangé des amabilités et des promesses de se revoir très vite. Il était temps de partir, on a salué tous ceux qui étaient à portée de main, puis on a filé chez le cantinier du camp récupérer des provisions de bouche pour la route du retour.

Nous avons filé à la caserne à pas redoublés, les fatigues de la guerre avaient disparu. Pliage des effets, puis empilage dans les deux chariots. Attribution des places assises et consignes aux conducteurs pour les arrêts « pipi » sur la route du retour. Arrêts aux relais de Bidard, et Mérignac, puis arrivée tardive au dépôt de Rochefort.


Voici en résumé le compte rendu de cette nouvelle campagne d’Espagne, avec cependant un bémol, pas de beaux slaves-polonais de la Vistule, pas de mojitos à l’herbe à chat, pas d’architecture locale à analyser. Le temps était convenable, ni trop chaud, ni trop froid, et surtout pas de pluie.




Signé le « malheureux et seul » caporal fourrier peintre du 8ème BOMM

Anaëlle dite « Requiem »












Ps : Désolé, Mon Cher Commandant, de ce pavé, réduit… à sa plus simple expression, mais je n’sais pas faire court. Petite pensée à tous nos compagnons indisponibles qui n’ont pu participer à cette agréable campagne. Un merci à la ville de Soria et à son représentant Diego, qui nous ont si gentiment invités. Mersi deo’ch (merci à vous).



Gribouille : Requiem

Modifications et censures impériales : Lumière Céleste

Corrections : La Royale et Main Gauche



 

Cahier de marche de l’appointé caporal Sylvain dit « Mieux-Vaut-Tard »

1ère Escouade, 2ème Compagnie, 8ème Bataillon d’O.M.M.

20ème Campagne d’Espagne du G.C.

A l’attention du Chef de Bataillon ingénieur constructeur A. Masquelez, commandant par intérim du Bataillon d’Espagne et du 44ème Équipage de Flottille.

Jeudi 28 mars 2019

  • 19H00 : J’arrive devant la demeure du commandant, toujours impressionnante avec ses colonnes en marbre blanc. Par habitude, je sonne à la cloche mais rien ne bouge. Il n’y aurait donc personne ? Non, un planton se présente et dit qu’le chef est parti avec les caporaux Trusquin et Requiem réquisitionner des charrois, pour faire une nouvelle et terrible campagne en terre ibérique. Je pose donc mon barda devant la porte monumentale et j’attends assis sur mon havresac. Le planton reprend sa place en sommeillant, appuyé sur son fusil.


  • 19H30 : Arrivée du commandant et des deux caporaux. J’me présente en saluant réglementairement. Nous entrons dans la bâtisse afin de nous réchauffer un peu auprès de l’âtre où brûlent de grosses bûches. Les journées sont belles mais les nuits sont fraîches dans ce département inhospitalier de Charente-Inférieure. Comme d’habitude, il y a des effets d’uniformes partout dans le grand vestibule qui illustrent l’agitation d’un départ en campagne.


  • 20H30 : Notre illustre hôte nous invite à sa table pour souper, dans son immense salle à manger, copie conforme de la galerie des Cerfs au château de Fontainebleau. Le chef ayant vécu un moment dans un arsenal près de Venise, nous a concocté une spécialité ramenée de la campagne d’Italie, à l’époque où le Patron n’était que général : La Pizza. C’est une galette de pâte à pain garnie de divers ingrédients. Ça n’paye pas de mine mais ça fait le café comme on dit en Jean-Cômie libre ! Not’ commandant s’est amélioré, car la dernière pizza ingurgitée chez lui était un échec dégoulinant. Nous passons la soirée à la lueur des bougies, à causer des dernières nouvelles du Bulletin de La Grande Armée. Le chef nous raconte ses histoires de vieux baroudeurs, nous blablatons comme des femmes de tout et de rien.


  • 23H30 : Nous rejoignons le dortoir. Extinction des feux, le planton de service souffle les dernières bougies et s’en retourne à son poste. Nous allons nous coucher sur nos paillasses. Not’ brave chef, lui, va rejoindre son bureau et travailler jusqu’à l’aube.




Vendredi 29 mars 2019



  • 7H00 : Je me réveille après une nuit épouvantable. Un gros rat noir a passé la nuit à gratouiller je ne sais quoi sous le lit où j’ai vainement tenté de trouver le sommeil.


  • 8H00 : Arrivés de nos compagnons d’infortune, dont, en premier lieu le conscrit Le Cadet. On ne l’a pas reconnu tout de suite, car on l’a retrouvé sous un gros sac jaune. Le chef a sursauté quand celui-ci s’est mis à bouger tout seul. L’est pas superstitieux not’ commandant mais il s’en est fallu de peu pour qu’il soigne ce spectre jonquille d’un coup de sabre ! Puis ce fut l’entrée du sergent La Franchise bientôt suivi du lieutenant porte aigle auxiliaire (de remplacement) Trois-Secondes, du quartier-maître cambusier La Garouille et de l’ingénieur Hubert.


  • 8H25 : Après un frugal petit déjeuner, c’est le départ. Le premier charroi est composé du Commandant, de l’ingénieur Hubert, du sergent La Franchise, de La Garouille et de Trois-Secondes. C’est le rude La Franchise qui tient les rênes. La Garouille a reçu l’ordre formel de se tenir éloigné des chevaux. Not’Chef veille à conserver son équipage au complet. Le second est composé des caporaux Requiem et Trusquin, de moi-même (son cousin) et du Cadet. C’est Requiem qui tient les rênes et nous aut’ on serre les fesses.


  • 9H30 : Nous faisons une première halte à l’octroi de Pons où une de nos cantinières du 44ème de flottille Pic-Rose nous remet des paillasses. Nous prenons les matelas et laissons là Pic-Rose.


  • 11H00 : Nous faisons notre deuxième halte près d’une grande auberge-relais de poste à Mérignac où nous changeons de chevaux. Nous y retrouvons une escouade du 44ème Équipage du Flottille composée de l’enseigne de vaisseau La Grenade, et de la famille de matelots les Lune. Le lieutenant, Pleine-Lune et Quart-de-Lune s’installent avec le commandant, alors que Demi-Lune monte avec nous. Nous repartons aussi-sec avec l’estomac qui commence à s’agiter. La Grenade prend les rênes du premier chariot alors que Requiem continue de jouer les cochers sur le second.


  • 13H30 : Troisième halte à proximité de la frontière espagnole. Nous déjeunons dans un bled nommé Bidart, peu après le port de Bayonne. Nous récupérons la dernière escouade composée du quartier-maître Campiston, du matelot canonnier Sans-Quartier du 44ème, l’ouvrier-menuisier La Menuise du 8ème et le canonnier Boutefeu du 3ème d’Artillerie de Marine, tous tranquillement installés à l’ombre d’un palmier. Ils se restaurent de cochonnaille et de pain blanc. Bien entendu, il y a du rouge pour faire glisser le tout. Nous partons acheter des provisions de bouche dans une auberge du coin, tandis que nos estomacs se serrent d’envie !


  • 14H00 : Nous reprenons la route après avoir ingurgité une frugale collation, comme le dit l’enseigne de vaisseau habitué à rencontrer du beau monde au port de Bordeaux. Notre charroi est désormais complet et nous nous apprêtons à traverser les terribles gorges pyrénéennes ou plutôt coupe-gorges basques.


  • 14H30 : Nous pénétrons en territoire espagnol. Je ne sais pas trop pourquoi mais je repense à ces cosaques que nous avions croisés lors de notre dernière campagne au Portugal au mois d’août dernier… Il me semble les entendre encore ces bougres là. (Voir le rapport Almeida d’MVT)


  • 17H00 : Nous traversons un paysage désertique, ponctué de bourgades en ruine, puis nous arrivons devant la ville de Soria où coule une petite rivière Le Duero. L’eau semble belle mais j’n’ai pas envie d’y faire trempette, c’est un coup à perdre un arpion, car on m’dit qu’il y aurait des piranhas ?! Nos chevaux peinent à monter une côte pour atteindre le centre ville. Selon les dires des gens du pays, on serait à plus de 1 000 mètres d’altitude. Certains sommets au loin sont couverts de neige. Sur ce plateau, le vent d’hiver doit être terrible. Espérons que nous trouverons notre casernement pour nous y installer chaudement.


  • 17H30 : Nous tournons un peu en rond et nous faisons une halte dans un relais de poste où nous faisons le plein de fourrage (bio) pour nos chevaux et de céréales fermentées pour les hommes.


  • 18H30 : Nous prenons nos quartiers dans une caserne qui sera largement suffisante pour nous protéger du froid mordant de la nuit. En pleine installation nous retrouvons avec plaisir notre dernier compagnon, l’ouvrier Cataluña, venu tout droit du dépôt de Barcelone !


  • 20H00 : Une fois installés, nous demandons la permission d’aller explorer les environs et le hasard de nos pas nous mène dans une cantina où nous trouvons tout ce qu’il faut pour remplir nos estomacs et réhydrater nos gosiers asséchés ! Cataluña guide nos choix grâce à ses origines hispano-catalanes, c’est un genre de métissage local. Le moral remonte rapidement et nous rions tous de bon cœur !


  • 23H00 : Nous nous couchons le ventre rempli et le sourire aux lèvres. La Menuise et Campiston tous deux béarnais ou gascons, sont comme un vieux couple qui se dispute amicalement pour n’importe quel sujet. Ce spectacle burlesque avec l’accent du sud ouest vaut tous les théâtres ! Ils arrivent même à réveiller Sans-Quartier d’un fou rire.



Samedi 30 mars 2019



  • 7H00 : Le quartier maître Campiston nous réveille. Mes lourdes paupières ont un peu de mal à s’ouvrir mais un coup de pied amical et bien placé, de la part de mon camarade réveil-matin, m’aide instantanément à m’éveiller.


  • 8H00 : Ordre est donné de chausser nos capotes et de fixer sur nos chefs le bonnet de police. Nous partons en colonne en direction du camp rejoindre les autres unités de l’armée pour, soi-disant, y prendre un petit déjeuner. Là, sous les arbres, un chariot de cantiniers espagnols et quelques tables où sont exposées diverses viennoiseries censées représenter notre repas matinal. Sur le sol de grosses gamelles remplies d’un jus étrange servi à la volée dans nos quarts. Il s’agit là d’un ersatz de café, liquide le plus abjecte du monde ! C’n’est pas du café, c’est du sucre liquide à l’arôme de café. Horrible ! On préfère de loin le jus de chaussettes de not’ cambusier sur nos bivouacs de France. Un coup à devenir diabétique en deux gorgées ! On tente d’interdire le commandant d’en boire, car nous surveillons de près son diabète. Il s’enfile une gorgée pour faciliter le passage de ses médocs, mais il grimace dur not’ chef. On s’demande si les deux cantiniers espagnols ne seraient pas des brigands à la solde des Anglais. Chez nous, faire une chose pareille, c’est le peloton à coup sûr ! Après cela, nous regagnons notre caserne afin de nous préparer à ce qui nous amène ici : la Guerre.


  • 9H00 : Nous retournons sur le camp et préparons nos cartouches sous les pins, en compagnie d’écureuils audacieux qui viennent mendier quelques miettes de pain. Ici, même les animaux sont pauvres comme les péones !


  • 10H30 : Nous arrivons en ordre à proximité du champ de bataille. Le commandant nous quitte pour prendre ses ordres à l’état-major du maréchal Ney. Pendant ce temps, et après avoir formé les faisceaux, le lieutenant La Grenade nous fait faire quelques exercices d’escrime rappelant que nous sommes avant tout des marins. Tierces, quartes, quintes, estocs, etc., nous moulinons vaillamment, sabrant de nombreux ennemis fictifs.


  • 11H30 : De retour not’ Commandant est à la recherche du porte Aigle et de sa garde qui semblent avoir disparus. Il grommelle en espérant qu’ils n’ont pas été enlevés par la guérilla locale, car les ruelles sont des coupe-gorges ici. Arrêt de l’exercice, nos sabres retrouvent leurs fourreaux et nos fesses la terre près des faisceaux de fusils. Tout le corps de Ney est présent, infanterie, artillerie, la Garde etc.


  • 12H00 : Les tambours battent la générale. Pour nous c’est le branle bas ! En ordre, nous nous positionnons sur l’aile droite du champ de bataille. A notre gauche se trouve une batterie d’artillerie régimentaire du 100ème de ligne, qui aurait plu à not’ Sergent Tire-Bourre. A ma gauche se trouve le Caporal Trusquin et à ma droite l’ouvrier Cataluña. Tout est prêt, l’attente commence.


  • 12H05 : Rien.


  • 12H10 : Rien.


  • 12H15 : Rien.


  • 12H20 : Rien.


  • 12H25 : Rien.


  • 12H30 : Rien.


  • 12H35 : Rien. On commence à sentir comme une hésitation chez l’adversaire. Serait-ce la peur ?


  • 12H37 : Rien.


  • 12H40 : Rien. Je commence à avoir mal aux pieds.


  • 12H45 : En face, nous constatons les premiers mouvements de l’ennemi, plusieurs drapeaux flottent. Par réflexe, nous serrons nos armes et les rangs tout en vérifiant nos équipements respectifs.


  • 12H50 : Baoum ! Ça y est. L’artillerie ennemie se réveille, le bruit sourd Vrrrouufff des boulets se fait entendre au-dessus de nos têtes. Nos canonniers répondent aussi sec à cette aimable invitation au bal. L’affaire s’annonce sérieuse. Ils ont l’air remonté en face, surtout cette masse d’individus armés de piques et de fourches.


  • 13H00 : Nous nous retrouvons en pleine bagarre. Nous avons beau enchaîner les tirs, rien n’y fait, il va falloir passer par l’empoignade. Et cela ne manque pas ! C’est dans une mêlée chaotique que nous combattons la guérilla et les troupes de ligne qui les accompagnent. La Garde se trouve en arrière à l’extrême droite. Notre centre composé d’une brigade d’infanterie tient encore malgré les pertes. Nos efforts pour contenir les forces adverses semblent vains tant l’ennemi est nombreux. Nos matelots de flottille sabre en main taillent de terribles croupières aux guérilléros, comme à l’abordage. Ordre est donné de reculer pour nous reformer en ligne. Nous serrons les rangs déjà dégarnis et nous savons tous qu’il va falloir retourner dans la fournaise. Quelques salves se font entendre et c’est reparti. Nous avons beau faire, les lignes d’en face, malgré les pertes, ne veulent rien lâcher. Nous nous replions à nouveau. Le sol est jonché de cadavres et de mourants. Pour l’instant, notre brigade de marine ne s’en sort pas trop mal. Ah ! Si nous avions nos compagnons du 2ème Hussards, ils chargeraient tout ça à fond. Hélas, notre cavalerie n’a pas encore rejoint le corps de Ney.


  • 13H30 : Cela sent très mauvais, l’ennemi nous charge à nouveau, Aïe ! La victoire nous échappe. A notre gauche, l’infanterie de ligne se fait tailler en pièces, malgré la bonne résistance des grenadiers du 34ème. Nous ne pouvons tenir plus longtemps. L’ordre tombe comme un boulet : retraite ! Et c’est en bordel couvré que nous filons vers l’arrière. Nous trouvons refuge derrière une forêt d’épineux qui nous cache de l’ennemi. Là nous tombons sur des éléments de la Garde Impériale qui, fidèles à la légende, brille par son absence dans leurs beaux uniformes tout neufs. C’est vrai qu’ils sont immortels, surtout lorsqu’ils sont loin des balles !


  • 14H00 : Les combats cessent. Nous regagnons nos cantonnements laissant une forte arrière garde pour couvrir notre retraite. Nous retrouvons nos compagnons d’infortune au bivouac pour casser une graine. Avec les pertes, c’est sûr, il y aura du rab d’assuré. On nous sert des sortes de mogettes avec un peu de viande et du ragoût ou quelque chose comme ça. On bouffe sans trop réfléchir. Notre compagnon matelot Pleine-Lune est tombé sur une caisse abandonnée de sang du Christ, sans doute une production vinicole locale de vin d’messe. Cela nous remonte quelque peu le moral.


  • 15H00 : Nous rentrons à la caserne le cœur un peu gros mais l’estomac plein. Nous restituons les cartouches qui nous restent aux canonniers. Une sieste sur nos puciers finit de chasser le souvenir de cette retraite.


  • 18H00 : Rassemblement de toutes les troupes belligérantes sur le champ de bataille. Il y aurait une trêve ou une sorte d’armistice entre les deux camps. Nos dirigeants décident d’honorer les soldats tombés aux combats, tant d’aujourd’hui qu’il y a 200 ans. Nous défilons dans la ville de Soria, amis et ennemis en colonnes serrées. Nous faisons une première halte autour d’un monument dédié aux morts. Tous les drapeaux espagnols sont de sortie, nos Aigles légèrement en retrait. Ça cause en espagnol et nous ne comprenons rien ou presque, car certains mots font référence à la liberté, l’occupation, la résistance etc. contre nous aut’ Français quoi ! Mais nous prenons des têtes de circonstances pour être dans le jus. Avec la nuit qui tombe, l’air devient plus frais. Nous repartons ensuite et traversons la vieille ville où beaucoup d’habitants sont rassemblés. Nous faisons une seconde halte devant ce qui doit être la mairie. Il y a là un tas d’officiels de toutes nationalités, des gens habillés en dimanche et tout le gratin local. Plusieurs anciens prennent successivement la parole et ça cause toujours en espagnol. Je me tourne vers le camarade Cataluña et lui demande : « Qu’est-ce qu’ils disent ? ». Le pauvre, il somnolait et ma question l’a réveillée en sursaut. On gèle sur place tant le froid augmente et nous sommes en plein courant d’air et en grande tenue.


  • 20H00 : La causette interminable s’achève enfin. On a passé plus d’une heure debout, immobiles dans le froid. Notre brave et ancien Boutefeu, qui était à ma droite, m’en pouvait plus. On a tous faim, soif, mal aux pieds et on se les gèle. Seuls, des sourires de connivence et quelques mouvements de cils venant de certaines belles dames du pays nous réchauffent le cœur. Not’ commandant en convient ! Le défilé s’achève, nous rompons les rangs et rentrons à la caserne d’un bon pas.


  • 21H00 : Le quartier libre est ordonné. Nous prenons nos capotes, gants, écharpes et bonnets de police, Le Cadet, couvert comme un oignon au pôle nord, est prêt à repartir dans le bourg pour casser une graine. Nous tentons notre chance dans l’un des nombreux estaminets de Soria. Hélas, tous remplis de soldats et d’habitants qui ne sortent que la nuit dans ce pays. Malgré nos recherches, nous ne trouvons aucun endroit où poser nos séants. En désespoir de cause, nous finissons par retourner dans la même cantina que la vieille au soir. Il faut négocier dur pour avoir une table.


  • 22H00 : Le tenancier est moins aimable qu’hier, engaillardi par notre retraite il lève le menton en signe de mépris pour les envahisseurs laïques. Néanmoins après une bonne discussion avec le lieutenant La Grenade, sur le cours de la péséta par rapport au franc or, il accepte de nous recevoir dans ses combles. Un jovial serveur installe une grande tablée. La bière commence à couler et notre brave Cataluña obtient avec force de satisfaction des patatas bravas. Nous faisons bombance et surveillons que not’ chef prend bien ses médocs. L’estomac plein, nos joues rougies, nous reprenons les ruelles sombres qui nous mènent à notre casernement.


  • 0H00 : Rassasiés, nous nous couchons avec la certitude que la journée de demain effacera celle d’aujourd’hui, ou quelque chose comme ça… Le Patron n’était pas là, Ney a fait ce qu’il a pu avec le peu de troupes à sa disposition.



Dimanche 31 mars 2019


  • 7H00 : Le Tambour bat la diane qui résonne à nos oreilles endormies. C’est un réveil Campistonnesque qui nous fait sauter de nos paillasses. Mais comble de tricherie, nos ennemis espagnols ont décidé de changer d’heure au milieu de la nuit, histoire de nous désorienter. Hier il était six heures alors qu’aujourd’hui il est sept heures… à la même heure ?! Que la peste soit du maroufle et les étouffe tous ! On n’joue pas avec l’espace temps, bon Dieu !


  • 8H00 : Quelques compagnons et moi décidons de sauter l’ibérique petit-dèj local. Pas question de reboire l’affreux et diabétique café sucré ou sucre au café. Nous sortons de nos sacs de distributions quelques provisions de bouche et improvisons sur le tas un petit déjeuner à la française.


  • 10H30 : Rassemblement. Nous sommes en tenue de route et en ordre de bataille. Nous rejoignons à nouveau ce qui va être le champ d’honneur. Le commandant s’en va rejoindre l’état major et not’ lieutenant La Grenade nous refait le coup de la veille : escrime pour tous !


  • 11H30 : Nos chefs ont fini leur causette, les faisceaux de fusils servent de portes manteaux, notre coucou en travers. On ne sait trop comment, mais nous nous retrouvons devant la cambuse/bicoque à l’horrible café où sont toujours étalées les viennoiseries aux arômes artificiels et autres morceaux de barbaques boucanées. Le commandant nous rejoint et se propose de grignoter une spécialité locale sous la forme de petits morceaux de lard frit. Mais à peine a-t-il le temps de mettre un des dits lardons à sa bouche, que le matelot Sans-Quartier, surgissant de nulle part, lui arrache des mains le dangereux aliment interdit par la Convention pharmaceutique anti-diabète de Genève. Elle lui stipule qu’il doit respecter les règles alimentaires et lui ordonne de ne manger que 5 fruits et légumes par jour ! Le commandant reste là interloqué de cette effronterie et ne cesse de regarder ses doigts gourds sans rien au bout et le jeune matelot devant lui. Nous sentons dans son regard d’aigle qu’il est en train de se questionner : exécution sommaire ou sévices chinois ? Nous rions de bon cœur même si le matelot Sans-Quartier nous fait désormais un peu peur.


  • 12H00 : La chaleur se fait sentir en ce beau dimanche de mars. Nous roupillons dans l’herbe près des faisceaux, alors que les troupes commencent à bouger et que les trains d’artillerie apportent les canons à leurs emplacements. Le tambour bat la générale. Il faut s’équiper fissa et se mettre en rang. Le commandant nous ordonne d’avancer, tout d’abord vers le centre du dispositif. Mais un aide de camp lui signale que les ordres ont changé et que la brigade de marine se tiendra la droite. Les troupes alliées sont surprises du retour de l’armée impériale et se met rapidement en bataille devant un camp retranché où plusieurs canons se mettent en batterie.


  • 12H30 : Nous prenons nos positions sur le flanc droit, les ouvriers en ligne et les matelots de flottille en tirailleurs face aux guérilleros planqués derrière les arbres d’un petit bois. A notre gauche, une pièce d’artillerie et deux unités d’infanterie de ligne. Plus loin, la Garde fait face à l’aile droite ennemie. Derrière les arbres, nous apercevons le camp retranché rempli de troupes diverses protégées par d’importantes barricades. Aux angles de l’artillerie, au centre les drapeaux et étendards. Derrière les arbres, tout proche, la guérilla dont nous reconnaissons beaucoup de femmes, tentent de nous harceler à coups de pistolets inoffensifs en raison de la distance. Le commandant fait déployer le 44ème de Flottille sous les ordres de l’enseigne de vaisseau La Grenade avec instruction de faire mouche à chaque tir. Ça mailloche dès le départ. Pendant que les matelots se frottent à la guérilla, not’ chef nous met parfois en bataille, en colonne d’attaque, voire en voltigeurs, histoire de chauffer le métal de nos pétoires et nous amuser un brun. En binôme et à tour de rôle nous allons titiller la guérilla et des tirailleurs ennemis. Je fais équipe avec le caporal Trusquin. Chaque coup porte et nous voyons ces pauvres bougres d’hommes et de femmes en arme, dégringoler museau en terre en vociférant des insanités hispaniques. La chose est facile puisqu’ils portent tous une grosse croix rouges cousue sur leurs vestes à l’emplacement du cœur, Le grand barbu là-haut nous facilite la tâche en ramenant à lui toutes ses brebis égarées.


  • 13H00 : Les guérilleros ne font pas le poids contre des marins aguerris par tant années de combats. Ils reculent vers le camp retranché couvert par une pièce d’artillerie qui tire vers nous sans aucun résultat. Les choses se présentent plutôt bien cette fois. L’infanterie ennemie a tenté une percée sur notre centre, sans aucun succès étant prise de flanc par les grenadiers du 34ème de ligne. Durant ce combat, nous soutenons l’action des ligneux contre un parti de cazadores qui tentaient de les arrêter. Notre pièce s’est trouvée un moment sans protection et la guérilla a tenté une action sournoise pour la prendre. C’était sans compter sur les matelots qui ont foncé dans le tas faisant un carnage. Tout ça a été un peu chaud, mais ça l’a fait !


  • 13H30 : Not’ commandant en contact visuel avec le colonel Diego du 34ème de ligne, reçoit l’ordre de faire un premier assaut contre le côté gauche du camp ennemi, histoire de dégarnir son centre. Bien retranchés derrière leurs barricades les Espagnols résistent malgré les nombreux morts qui s’accumulent. Il ne faudra pas moins de trois assauts pour entrer dans la place. Les coups pleuvent de toutes parts, les cris, les insultes, les gémissements se mêlent aux coups de fusils. L’ennemi est aux abois, se bouscule, resserre les rangs, mais toute action de défense devient inutile et c’est l’hallali, tous passent au fil des baïonnettes sauf quelques individus qui lâchent leurs armes et lèvent les mains. Voilà une belle victoire ! Vive l’Empereur ! Vive l’Empereur ! Le combat meurtrier a cessé, la bataille de Soria s’achève. Les officiers des deux camps se saluent respectueusement. Chaque soldat victorieux relève un ennemi « tué » et finalement tous s’embrassent cordialement.


  • 14H00 : Nous ne profitons pas longtemps de la victoire, donc pas de pillage, de viol ou de fouille de sacs. Pas le droit, qui dit not’ Chef ! Nous repassons à la cambuse du camp légèrement en désordre après les combats. Les cantiniers vaincus ont préparé des provisions de bouche pour la troupe. La brigade de marine s’en retourne vite à la caserne afin de préparer son départ d’Espagne. Il nous faut revenir à nos dépôts respectifs. Le Patron a encore besoin de nous sur d’autres théâtres d’opérations. On se lave rapidement à la rivière, on replie nos paillasses, puis nos effets. Les charrois sont réunis dans la cour de la caserne puis rapidement et efficacement chargés.


  • 15H00 : L’ouvrier Cataluña nous salue chaleureusement et s’en retourne vers le dépôt de Barcelone. Nous reformons les mêmes équipages qu’à l’aller avec les mêmes conducteurs. Les chevaux sont frais et nous prenons gaiement la route de la France.


  • 17H00 : Peu de kilomètres avant la frontière, nous faisons une première halte dans un relais de poste où nous avons le temps de boire un vrai café. Le quartier-maître Campiston et l’ouvrier La Menuise se disputent toujours pour savoir qui va payer les consommations. En repartant, le matelot Sans-Quartier croise le commandant qui vient d’acheter… des barres de chocolat. Son regard en dit long sur cette malédiction alimentaire, qui oblige not’ chef à se justifier : « C’est pour mes filles ! » dit-il d’un air Penaud. Nous rions de cet épisode culinaire. Le caporal fourrier Requiem semble fatigué de conduire les chevaux, je prends les rênes.


  • 18H30 : Nous traversons les Pyrénées sans encombre. Seconde halte au relais de poste de Bidart où le QM Campiston, l’OMM La Menuise, le canonnier Boutefeu et le matelot Sans-Quartier s’en retournent à leur dépôt respectif au cœur du Béarn.


  • 21H00 : Troisième halte, au relais de Mérignac. Cette fois-ci c’est l’enseigne de vaisseau La Grenade et la famille de matelots Lune qui nous quittent pour le dépôt de Bordeaux.


  • 23H30 : Il fait nuit depuis un bon moment. Nous arrivons enfin devant la demeure du commandant, fourbus mais heureux. Nous déchargeons les chariots et rangeons nos équipements dans une des immenses chambrées mises à notre disposition. L’ingénieur Hubert, le sergent La Franchise, le QM La Garouille et le lieutenant Porte Aigle auxiliaire 3 Secondes s’en vont à leur tour. Le caporal Le Trusquin dépose l’ouvrier Le Cadet devant chez lui et revient à Échillais. Le Cadet restera sur le trottoir à monter la garde toute la nuit, n’osant pas réveiller son paternel, militaire de son état. Le pov’ !


  • 0H00 : Silencieusement nous avalons un maigre repas avant d’aller nous plonger dans les bras de Morphée. Pas de rat cette nuit. Le commandant retourne à son bureau, seulement éclairé d’une bougie. Il a un rapport à faire pour le préfet maritime de Rochefort. Le pov’ !




Lundi 1er avril 2019


  • 7H00 : Le tambour bat la diane. Réveil difficile. Ablution à la fontaine au milieu du parc, puis café (du vrai de chez grand’mère).


  • 8H20 : Il nous faut nettoyer les deux chariots avant de les rendre au dépôt du Train du génie. Avec Requiem nous nous occupons du premier tandis que le Commandant et Trusquin s’occupe du second. On balaie, on frotte, on lave on graisse les essieux et les rênes, et on panse les chevaux.


  • 9H00 : Au dépôt du Train du génie l’ensemble est nettoyé à grande eau. Puis nous faisons le plein de fourrage pour les chevaux-vapeurs. Le charroi est restitué contre reçu, en meilleur état que nous les avions réceptionnés.


  • 10H00 : Retour chez le commandant. Je prends congé et retourne au dépôt de Nantes à bord d’une malle poste tirée par six beaux chevaux bais bruns.



Veuillez trouver ici, Mon Commandant, la fin de mon rapport, d’une honnêteté à toute épreuve.



L’Appointé caporal, peut être futur “sergent”, voire plus ... si Dieu le veut ...

Mieux Vaut Tard

PS : Le plus lettré du bataillon.




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