Des cartouches pour Almeida
Journal de marche d’un aide-fourrier des Ouvriers Militaires de la Marine
Breton(n) partit en quête du mojito parfait (Le Graal, chez ces gens là !)
A l’attention de quiconque désirera lire ces lignes, car on m’a dit qu’il était bon d’écrire pour ne pas avoir le cœur gros en se rappelant l’pays.
AN XVIII, 17 août.
Au matin du deuxième jour du dur labeur, j’ai pu fabriquer seulement 647 cartouches en seulement dix heures, mais la découpe du papier continu. Mes ciseaux fatiguent, comme mes petites mains. Jusqu’où tiendrais-je ? Aurons-nous suffisamment de munitions pour la « campagne » qui nous attend ? La boisson nous attendra-t-elle à la tablée chaleureuse de nos amis dont les ancêtres furent d’anciens ennemis ? J’veux pas leur tirer dessus, après tout, sont sympas ces bons hommes. Pour ma tâche, le défi est de mise, 2000 cartouches qu’il attend l’Sergent de l’artillerie de marine ! Et que va donner l’aide-fourrier ? Plus de 2000 cartouches ! Vise haut le p’tit aide-fourrier.
A l’heure de la pitance, je me suis mis en tête de commencer un nouveau portrait d’un des gars de notre camaraderie, afin d’ancrer nos bons hommes dans les souvenirs, peut-être de leurs p’tites dames. J’l’avais déjà fais pour le nouveau seigneur – nous tairons son vrai nom, alias « Mieux Vaut Tard »… comme on l’appelle par chez nous. On ne sait pas comment il a acquit son lopin de boue en Ecosse, enfin, une parcelle d’herbes en terre lointaine où y paraît qu’un seul buisson y prend toute la place et qu’il subit des invasions barbares de fourmis rouges comme not’ bon Lord-Quartier-Maître « Lapérouse » qui lui aussi a dû solliciter d’humiliantes faveurs auprès de … pour avoir des terres. Ils ont quoi dans la tête ? Ils veulent former un nouveau pays ? Ou juste un endroit pour jouer aux p’tis soldats ? Sont bin fous ceux là !
Qui vais-je représenter sur l’papier à l’aide d’une mine de plomb ? Not’ bon commandant éclairant ? Non, il mettra de l’ombre sur les gars. Le Second Maître « Le Gênois » ? Bin trop grand l’dadet. Faudrait faire uniquement des jambes, pas très intéressant… ces tiges de poils. Ah ! J’ferais bien notre Sergent d’artillerie avec son bonnet de police jusqu’à mi-pif. Le gars typiquement caricatural. Allez ! Ce sera lui l’prochain ! Dans l’avenir faudrait qu’j’trouve un moment sur nos bivouacs pour « encrer » les copains. Qu’on se rappelle de leur trogne et de leur tristesse.
Une rumeur dit qu’j’suis un bon gars. Malheureusement pour eux, ils ne se doutent peut-être de rien. Je me remets au travail, on coupe, on redécoupe, on roule, on écrase et on met la cartouche avec les autres.
Fin de journée, alors que je continuais la confection, le chat de la famille a tenté de m’en voler ! « Ma Doue benniget* » ! Comment ce fait-il que ces félins aiment autant l’bruit du papier ? J’ai terminé les cartouches pour la journée à 22h00 tapante. La surprise est à découvrir demain matin avec le compte des cartouches réalisées.
*Nom de Dieu
AN XVIII, 18 août
On se rapproche du départ pour le sud. Tout est au sud pour un breton, sauf le nord ! J’ai compté les cartouches : 1073 ! Je le referais sûrement avant d’aller me coucher, ça m’aiderais à m’endormir. Paraît que compter les moutons permet de dormir. Pourquoi pas des cartouches pour un soldat ? L’un des compagnons, « Mieux Vaut tard » (encore c’ui là !), s’est demandé si j’étais fou ou génial, ou les deux. J’ai répondu « fou !». Je crois qu’il suspecte une part de féminité cachée. A voir !
An XVIII,20 août
Après une permission qui me permit d’aller à Saint-Nazaire pour des affaires personnelles, c’est aujourd’hui que j’ai pu atteindre les 2000 cartouches ! 2008 de fabriquées à la sueur de mes futurs moignons. Transmission du résultat au Sergent d’artillerie « Tire-Bourre »… Encore un qui m’dit que je suis fou ! … Enfin… folle à lier. Je vais continuer d’en confectionner, on pourrait être à court au mauvais moment de l’action.
Appointé Caporal Aide Fourrier.
Requiem