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Le Poulpe d'Almeida

Avertissement :                                                                                                                                                        

Les textes, rapports, journaux, cahiers/journaux de marche, notes, etc, rédigés par des membres du Garde Chauvin, n’ont pour but que d’amuser l’adhérent ou le lecteur passionné d’histoire, d’humour et de caricatures, le tout devant être pris au second degré et au-delà. Chacun des auteurs décrit à sa façon ce qu’il a vécu ou vu au cours d’une manifestation ou animation de reconstitution historique. Le texte original est alors modifié par la « rédaction impériale », transformé, remis dans un contexte historique en y ajoutant des expressions populaires du temps, de l’argot, voire des mots provenant de dialectes ou patois régionaux et de courtes citations cinématographiques. L’ensemble du texte est ensuite soumis au contrôle de « correcteurs » qui vérifient l’orthographe plutôt que les règles grammaticales souvent mises à mal. Soyez indulgents et ne prenez jamais le contenu de ces textes pour parole d’Evangile.

 


Fred dit Tire-Bourre
Fred dit Tire-Bourre


Sergent Fred dit Tire-Bourre

A l’attention du commandant par intérim du 8ème B.O.M.M.

Le 3 septembre de l’an 2024



Journal de marche du Sergent  Tire-Bourre, chef de la 1ère batterie

1ère compagnie du 3ème Régiment d’artillerie de marine (6ème Corps d’armée)

        Expédition du 30/08/2024 à Almeida.

N° 1




Jeudi 29 août.

17H : Nous sommes en l’An de grâce 1810, tous les namois* sont réquisitionnés pour la guerre. Tous… non ! Un orphelinat d’irréductibles « vieilles ferrailles » résiste encore et toujours aux « requisitionneurs ». Cet Eden de bouches à feux en retraite n’est autre que :

La 1ère Cie du 3ème Régiment d’artillerie de marine.

Toujours située au petit dépôt d’Aubigny-Les-Grandes-Eaux, tout près de Napoléon-Vendée-Sud, par la deuxième vicinale à droite, puis la quatrième Sommières à gauche, et enfin, jusqu’à la troisième cabane, reconnaissable à sa lune aux deux canons en sautoir sculptée sur la porte. Lieu où les anciens du bled disent, traditionnellement, en patois « ventrachoux » : « Y mouille point dans s’trou là, sauf quand y tempête chez les Bretons ! »  Ce dépôt est un véritable havre de paix pour les namois* abandonnés, maltraités, oubliés, retraités, pire encore, pour tous ces pauvres hères, laissés là, sur la voie publique, posés sur de pseudos affûts de béton, comme de vulgaires gisants de granit au cimetière du Père Lachaise à Paris.

*Namoi : Surnom donné au canon, quel que soit son calibre et sa nationalité, rencontré au fil des campagnes du Garde Chauvin, arbitrairement considéré, par le sergent Tire-Bourre, « orphelin et abandonné », donc, lui appartenant de fait.

Ce paradis, où la main d’l’homme n’a pas encore mis l’pied, résiste toujours vigoureusement aux demandes officielles d’adoption venant de par-delà les frontières (Vous l’savez, mon commandant, dès qu’un gus s’approche d’un namoi sans laisse, moi, j’y réponds chaque fois : « T.P.A.C.P.C* »

* « Touche pas à ça, p’tit con ! »

Mais revenons-en à mon rapport : c’te présent jeudi 29 août, rassemblement de presque toute l’élite des troupes impériales (enfin du meilleur de ce qu’il en reste !). Car, l’artilleur Le Brutal manque à l’appel. « Tant pis pour lui, on prendra sa part… ! » qu’on s’dit. Les ordres envoyés par les autorités maritimes de Rochefort stipulent, qu’après 20 campagnes en Portugal et 15 de siège de la citadelle d’Almeida, les alliés semblent avoir encore repris et reconstruit la forteresse après notre dernier départ en août de l’an 23 après JC. Situation lassante pour notre Impériale Majesté Patron 1er. Ordre est donc donné de retourner encore en Lusitanie reprendre la citadelle, mais, c’te fois, de la conserver en parfaite état, histoire de voir si un certain commandant, (que vous êtes), pourrait y couler (un comble pour un marin) une retraite heureuse. (Vous avez, hélas, fait votre deuil de la promesse faite par notre empereur de vous donner un p’tit coin chez son frangin en Westphalie*).

*Voir l’origine de cette promesse dans les rapports précédents. 

C’est l’canonnier La Joie qui franchit en premier, mais difficilement, les douves magnifiquement entretenues qui cernent notre somptueux casernement. Les rabat-joies du bourg bougonnent qu’il s’agit-là d’une vieille planche posée sur un tas d’lisier boueux et qu’les corbeaux y volent sur le dos pour point voir c’te misère. Ah ! j’ vous jure, y z’ont des goûts d’luxe ces bourgeois !

Casernement d’la 1ère Cie
Casernement d’la 1ère Cie

Quelques instants plus tard, c’est l’Sergent en 1er La Gabelle qui arrive les souliers crottés jusqu’aux chevilles,  vu qu’en raison d’son grand âge, l’a encore raté l’pont levis, et c’est dans le lisier du fossé surnommé « piège à cons » qui entoure la caserne, qu’il a pataugé. Cet ex-douanier Sablais, a des valeurs olfactives, qu’nous aut’ péquenots d’Vendée, on a point !

Presque tous réunis, on charge enfin le charroi comme un tombereau d’fumier. Cette corvée s’achève par une  petite collation « maison », toute simple à base de : Roulé d’bacon fumé sur son cœur de tome de Savoie affiné, gisant sur son croquant de pain brioché, suivi d’un entremet de crème aux œufs glacés dans son feuilletage caramélisé. J’n’invente rien, mon commandant, c’est écrit sur la boite de ration K donné par dépôt des Vivres & Viandes. Cependant, je sais, ça fait un tantinet mesquin, mais c’est prestement qu’on a mangé sur le pouce.

J’file dare-dare aux archives de la caserne, et « j’emprunte », à la volée, deux grimoires avec images sur lesquels sont inscrits sur la tranche « DVD ». Il s’agit d’égayer le long trajet qui nous mènera en Lusitanie. Le premier semble aborder la Campagne d’Egypte, puisqu’il est noté sur la couverture « Mission Cléopâtre » dont le principal héros serait un teigneux petit guerrier  gaulois d’Armorique ; le second est relatif à une famille de titis parisiens, dont les oncles surnommés « Tontons flingueurs » seraient carabiniers d’élite dans la légère. Bof ! On verra bin ! Les réquisitions d’chevaux pour les Gros-frères* ont vidé les haras du coin. Ce sont donc, par défaut, des chiens de trait qu’on attèle aux chariots du train. Mes deux passagers sont pour le moins ébaubis devant ces fières « montures ». Ils pensent, ces bigors avariés, que j’ai viré bredin. J’réponds qu’non, à c’te paire de tartuffes aux olives vertes.  Voulez-vous rentrer à pince c’te lundi ? « Bin non, mon sergent ! » qu’ils rétorquent, « mais on n’voit pas l’rapport ! ». « Bande d’innocentes moules de bouchot, sachez qu’la Garouille-familly ne s’ra point du voyage et qu’une partie du charroi restera au dépôt d’Echillais, sans surveillance. Donc danger ! ». Après un long moment de réflexion d’ces deux pauv’ têtes qui n’ont point l’habitude de penser, y répondent : « C’n’est pas faux ! ». J’les reluque en faisant une moue dubitative sous-entendant que c’n’était pas gagné avec ces zèbres là.

*Gros-frères ou Gros-talons : cuirassiers.

Tel un Musher du Ch’nord, j’déclame une sorte d’aboiement « Yep- Yep ! » pour lancer ce superbe attelage gentiment « prêté » par le berger du coin qu’a désormais plus d’chiens pour surveiller ses moutons.


Magnifique attelage du train d’artillerie de la 1ère Cie du 3ème RAMA
Magnifique attelage du train d’artillerie de la 1ère Cie du 3ème RAMA

18H : J’profite du trajet pour relire mon ordre de mission. Mon officier commandant a noté en marge, comme l’an dernier : « Sergent, vous pourrez récupérer autant de namois abandonnés que vous voudrez, mais seulement ceux des anglois. Promis, craché ! J’veux pas m’fâcher avec les Portugais.». J’me fais fort d’faire comprendre à ces bougres de faux normands, c’qu’est l’son mélodieux du patois François d’ma contrée.

19H : Nous passons enfin le simple portail en ferraille de la première entrée du domaine de not’ commandant.


Modeste 1ère entrée principale du commandant sur son domaine d’Echillais les Marais
Modeste 1ère entrée principale du commandant sur son domaine d’Echillais les Marais

Puis après une petite heure de cheminement dans l’allée centrale,  nous arrivons à la conciergerie des « secrétaires » du bataillon, dont je suis le titulaire et le fourrier Requiem le suppléant !


Simple bicoque des secrétaires du bataillon à l’entrée du domaine du commandant
Simple bicoque des secrétaires du bataillon à l’entrée du domaine du commandant

Enfin, à la nuit tombée, nous arrivons devant vot’ grande demeure à colonnades de marbre blanc qui vous sert de bureau, dont je garderai le secret jusqu’à la tombe, comme demandé dans le précédent rapport.


Demeure du Chef de Bataillon/Ingénieur constructeur de la Marine Mappy Michelin ne vous fournira aucune information sur sa localisation – Sécurité défense (Nota : Je m’demande si, après 15 ans d’excuses sur les soldes, l’Masséna n’aurait point l’dos large …)
Demeure du Chef de Bataillon/Ingénieur constructeur de la Marine Mappy Michelin ne vous fournira aucune information sur sa localisation – Sécurité défense (Nota : Je m’demande si, après 15 ans d’excuses sur les soldes, l’Masséna n’aurait point l’dos large …)

J’file au secrétariat du dépôt, par l’escalier nord, et je m’fais remettre, comme à l’accoutumé par le commis principal aux écritures, des formulaires d’adoption référencés 3°RAMA/Namoi/A-38. J’me dis qu’c’est beaucoup d’paperasse alors qu’un simple canon d’pistolet sous l’pif du fonctionnaire portugais suffirait à obtenir beaucoup de namois orphelins. Bref ! La consigne, c’est la consigne !

En sortant du bâtiment administratif, tout en épongeant la sueur dans mon bonnet d’police, j’aperçois le matelot de 1ère classe José dit Le Marsouin, complètement perdu dans ce dédale de couloirs. Il n’osait plus bouger, attendant d’hypothétiques secours. La rumeur dit que des restes d’ossements humains d’un aide de camp, tenant encore entre ses doigts une lettre marquée « urgent », aurait été découverts dans un des longs couloirs sombres de la demeure, témoignant que d’autres malheureux s’y sont perdus. Not’ commandant avait passé une partie de l’après-midi au dépôt d’Rochefort, faisant récupérer des effets, matériels et armements destinés à l’expédition. Un matelot d’la flottille Serge dit Cayenne  (qu’il fallu aller chercher dans un bled lointain nommé Ballon), était là, ainsi qu’un détachement de fantassins de différents régiments, dont ceux du 79ème de ligne de Niort. Les chariots bien remplis se sont rendus sur le lieu du départ à Echillais, accompagnés du commandant monté sur son fier destrier blanc nommé Kangoo.

Arrivé à destination, et là, d’un coup, not’ pacifique commandant, explose en plein vol et vomit des mots inhabituels dans sa noble bouche à l’encontre du matelot Cayenne : « Quuoooiii ? Triple buse, bougre d’andouille, c… de moule, p… de coucou, en finissant par un … espèce de Breton, va ! ». En effet, l’ex-canonnier de marine, devenu matelot par défaut, venait d’murmurer à l’oreille du commandant qu’il avait oublié une partie de ses effets au dépôt de Rochefort, soit à 30 minutes de route A/R + le bac de Martrou. Le chopant par le collet, rouge de rage, il le hisse en croupe sur son destrier et file comme le vent jusqu’au lointain dépôt d’l’Arsenal. Tentant de se justifier, le matelot Cayenne dit qu’il « pensait » (chose interdite dans l’armée, pour ceux qui ne sont pas équipé du corps spongieux qu’on appelle cerveau) que le charroi repasserait par Rochefort. L’commandant, interrompant son propos, lui rétorque que son destrier Kangoo, c’n’est pas la malle-poste, et qu’en telle circonstance, son surnom pourrait bien l’amener directement outre-Atlantique … à Cayenne, voire se faire confectionner 12 trous dans l’paletot, si la poudre et l’plomb n’coûtaient pas si cher. Aïe, aïe, aïe ! L’a pas l’air commode not’ commandant. Y n’va pas falloir péter d’travers dans les rangs, qu’on s’dit, sinon pan, pan ! Exécution sommaire et enterrement sans grande pompe, au fond d’son jardin à la française, dont quelques reliefs sur le sol indiquent qu’il y a déjà du monde là-dessous.

20H30 : Direction la place d’arme dénommée « De la Confédération du Rhin », devenue depuis « Place de l’Europe », pour un départ groupé. Après les salutations d’usage entre soldats de l’expédition, en 12 temps, 18 mouvements, tout le matos est chargé dans le charroi. Cependant il reste de la place dans les soutes, et pour cause, il manque du monde cette année, étant tous de service dans leur région, l’anglois rôde sur les côtes. A mon questionnement sur ces défections douteuses, l’commandant m’dit de « fermer mon bec » et qu’on fera avec ou plutôt sans. Que la qualité des troupes présentes compensera le manque d’effectif. Il bougonne sur le peu de solde à distribuer sur place, accusant, par avance, l’maréchal Masséna, d’un futur détournement de fond.  On s’regarde tous, car tout ça sent l’entourloupe.

Les canonniers d’marine que nous sommes, valant chacun, au moins 10 fantassins, ne s’inquiètent pas outre mesure de ce manque d’effectif. On a déjà vu ça !

21H00 : Le charroi file telle une brise légère sur la grand’ route … Tacaclop, tacaclop …. Bizarre ! Nous ne sommes pas habitués à ce genre de chose. D’habitude ce ne sont que ruades et hennissements de chevaux, mais  c’te fois, rien ! Tout s’explique enfin, car la Garouille-Familly n’étant pas présente, les bêtes sont rassurées. C’est donc en toute quiétude que nous galopons vers not’ premier arrêt à Bordeaux.

22H30 : Après un détour imprévu, en raison d’une mauvaise signalisation, nous arrivons à not’ relai d’Bordeaux où nous « chargeons » un détachement d’matelots. Il est temps, pour moi l’sergent, d’faire un premier comptage du contingent. A l’appel, nous voila donc avec 22 bras levés et « 8 tentacules » mon commandant… ! « Hein !? Quoi ? Tentacules ? Que me dites-vous là, sergent ? » Nous avons en effet, ventousé sur le tribord arrière un « poulpe » dans un état comateux très avancé.


Véritable image d’époque de l’Ouvrier La Rouille, sans son bonnet de police
Véritable image d’époque de l’Ouvrier La Rouille, sans son bonnet de police

23H00 : Cestas, Cestas ! 15 minutes d’arrêt, qu’il annonce le conducteur du train des équipages. Changement de guimbardier. Nous retrouvons là not’ conducteur Philippe, surnommé Le Presque Corse. Son rêve est d’habiter près de la maison natale du « Patron » à Ajaccio. Aucun troquet local n’est ouvert à c’t’heure tardive, chacun s’envoie une rasade du contenu d’sa gourde.

01H00 : Ce vendredi 30 août. Bidard, Bidart. 30 minutes d’arrêt ! C’est le dernier relai français avant l’Espagne. « Pause pipi » qu’il annonce Le Philipe. Il s’agit là du traditionnel « Pipi Basque ». En effet, le beau palmier du relais reçoit chaque année, sa dose d’urine impériale sensée le protéger des insectes nuisibles. Nous récupérons de ce fait, not’ légendaire caporal-fourrier/canonnier/cambusier, le Sieur Campiston. Recomptage du détachement. Tous présents ! A noter que le « Poulpe » étend désormais ses ventouses sur toute la baquette arrière. Un voltigeur qui s’était installé à proximité, tente de se dégager à la baïonnette, des envahissants tentacules.

L’est grand temps d’passer à la lecture des bouquins embarqués à not’ départ du casernement d’Aubigny-l’Humide. Je joins le geste à la parole, histoire d’illustrer et mimer mon propos, en lisant l’histoire des tontons carabiniers flingueurs, dont l’auteur serait un nommé M. Audiard, obscure commis aux écritures au théâtre des armées. J’constate, durant la lecture, qu’il a plagié toutes mes répliques, textes, phrasés de mes propres journaux de marche. Ce qui m’insurge beaucoup.




Jugez-en, mon commandant, avec ces quelques extraits : « … ces cataplasmes à la fiente de canards sauvages… », « Mais il est complètement fou …, moi les dingues, j’les soigne, j’m’en vais lui faire une ordonnance, et une sévère, j’vais lui montrer qui c’est l’Tire-Bourre. Aux quatre coins d’ la péninsule ibérique qu’on va l’retrouver, éparpillé par petits bouts, façon puzzle…, moi, quand on m’en fait trop, j’correctionne plus, j’dynamite, j’disperse, j’ventile … ! ».  C’est du Tire-Bourre ça, pas de l’Audiard. Au voleur !!!

La lecture terminée, tout le monde semble réfléchir profondément à ce plagiat, même le Poulpe, qui vient d’ailleurs de régurgiter le voltigeur, en a les ventouses coupées.

08H : Après quelques haltes aux divers relais d’poste espagnols, et de nombreux jus de chaussettes ingurgités, nous faisons un dernier arrêt à la frontière hispano-lusitanienne, dans un bled nommé Villar-Formoso. Faut bien faire boire les bêtes, et l’conducteur du train. Pour nous aut’, c’est petit chocolat chaud avec croissants. Y a pas à dire, depuis qu’le Patron a remis de l’ordre dans ce pays d’sauvages, on peut tranquillement prendre une petite collation avec des gens civilisés, sans s’faire égorger par des brigands, Cré—vingt-Dious ! Nous r’prenons la route de Lusitanie, direction d’Almeida.

09H : Nous voici arrivés au dépôt d’Almeida, hors citadelle. Une partie de la garnison décharge ses armes et hardes, puis va choisir sa paillasse dans l’bâtiment. Le second détachement file à la citadelle, dont un redan est déjà occupé par les troupes françaises, où des tentes seraient déjà installées. Au déchargement du chariot on constate que « le Poulpe » n’a pas supporté le voyage, un David instantané montre ce qu’il en reste. Amen !


       Rouille de poulpe à la Lusitanienne.
       Rouille de poulpe à la Lusitanienne.

                                                        

09H30 : Ordre est donné de décharger le matériel et de monter vers le redan, ou plutôt descendre, c’te fois, dans les douves. On n’voudrait pas de nous ? Pourtant les Portugais sont nos meilleurs ennemis, après les Englishs ! C’est vrai, avec nos hardes, on ressemble plus à des pirates qu’à l’élite des armées impériales, mais enfin ! On s’installe dans nos tentes, mais on constate aussitôt qu’elles sont envahies de fourmis grosses comme des orteils. Si en Egypte on les consommait en grillade, ici ce serait plutôt nous aut’ au menu d’ces sales bêtes. Autre souci, nos tentes sont installées à proximité de trois brûlots de phare, type d’Alexandrie. La nuit qu’on pouvait espérer bien noire, sera surtout blanche. J’attribue les paillasses et tentes dont celle qui contiendra le matériel et les armes. D’un coup, une sorte de gargouillis gastrique me rappelle qu’il est l’heure de casser une graine dans un de nos troquets habituels.

Partie du campement Français aux pieds de la porte San-Francisco.
Partie du campement Français aux pieds de la porte San-Francisco.

11H30 : Bivouac opérationnel et prêt pour la guerre, mais seulement après la ripaille, faudrait pas pousser ! L’armement est enchaîné, cadenassé, sécurisé…, les artilleurs eux, sont « desséchés ». Pas de soucis, direction la taverne Granitus. « Merdum ! » qu’on s’dit en latin, trop tôt à c’t’heure ! On a un plan B, direction l’Avant-poste, juste en face. En rangs bien serrés, sages et fraîches, nos Cerveja de limao nous attendaient depuis un an. Je dois avouer que le contenu de la première chope mousseuse n’a pas touché ma glotte.

12H00 : A la taverne Granitus, ou r’trouve, not’ commandant, qui est surpris qu’on n’y soit pas déjà. Comme d’habitude, depuis 15 ans, l’menu du tenancier ressemble plus à un « attentat gastronomique » qu’à un plat du jour standard. Ca sent l’piège, mais on a faim ! Au menu : deux jattes de salade verte avec tomates et oignons, trois kg de patates en frite, quatre entrecôtes de dinosaure-bovin ou l’inverse, et enfin une gâterie de glace, que votre impérial diabète, vous empêchera d’ingurgiter, mon commandant.

14H00 : Nous sortons presque indemnes de ce traquenard, certes en rampant un peu, mais vivant tout de même. « Quartier libre ! » qu’on nous dit. Nous sommes parés de nos plus beaux atours, c'est-à-dire avec notre simple tenue de route avec bonnet de police, mais … le tout dépoussiéré. Nous retournons visiter le mausolée où reposent les reliques historiques de nos gloires passées. Tiens ! Bizarre, que j’me dis ! Y z’ aurait changé l’enseigne à l’entrée, que j’aperçois de loin. Plus j’me rapproche et plus j’ croise des regards suspicieux, voire inquisiteurs envers mes canonniers de marine. Là, devant la porte du site historique, une grande affiche ou plutôt un avis de recherche :

Tentative d’enlèvement avortée d’un namoi orphelin par des brigands d’artilleurs de marine français
Tentative d’enlèvement avortée d’un namoi orphelin par des brigands d’artilleurs de marine français

Nom d’un poulet d’Bresse cul-de-jatte, nous sommes repérés ! Par un rapide et conforme « Demi tour à droite … marche ! », nous amorçons un repli dit « stratégique », et non pas une fuite dare-dare, comme le diraient les mauvaises langues. Nous voici de nouveau dans not’ quartier général, not’ batcave* à bière Le San-Fransico.

C’est dans ce lieu d’perdition qu’les idées fusent
C’est dans ce lieu d’perdition qu’les idées fusent

Une grande conversation s’engage chez les canonniers envahisseurs.

Le canonnier La Joie : « On charge, on frappe, on les assomme, on adopte et on s’casse ! »

L’sergent La Gabelle : « Bin ! On n’torture pas ? »

Le Joie : « Pas l’temps, y a parade dans une heure… ! »

L’sergent Tire-Boure (moi-même) : « Non mais, ça va pas, hein… ! »

Les 2 aut’s : « Mouai, mais toi, sergent, tu n’ferais pas d’carnage ? »

Re moi-même : « Non, je n’ferais pas un carnage ici, l’sol est trop dur et on n’a pas de pelle…, donc j’propose une Canjuers* ! »

Les 2 aut’s : « Yesss… ! » (En anglais dans l’texte).

Re, re moi-même : « N’parlez pas comme ça, les gars, j’pourrais vous émondier par inadvertance ! ».

*Voir précédent rapport relatif au 3ème RAMA au Camp de Canjuers dans le Var.

16H15 : C’est l’heure pour la levée des couleurs sur la place de l’alcade. Nous nous préparons pour le départ depuis les douves de la Porte San-Francisco, jusqu’au bastion, guidés par deux gendarmes d’Espagne du dépôt de Vitoria, (au fort accent d’la province d’Alana, dans l’nord de l’Espagne, mais très au nord). Sur le bastion nous retrouvons tous les détachements destinés à rendre les honneurs aux drapeaux.

 17H15 : Levée des couleurs, hélas sans nos fifres et tambours. Le matelot Cayenne, puni, est chargé de tenir la drisse de nos couleurs nationales à la place du quartier-maître La Garouille, absent. Retour en formation serrée au « Camp des douves » sous les ovations et applaudissements des autochtones.

Les fières troupes de Marine passent sous la Porte San-Francisco
Les fières troupes de Marine passent sous la Porte San-Francisco

18H15 : C’est l’heure de la descente des couleursRebelote, comme le diraient les anciens ! Dans la rue pavée qui monte à la mairie, nous avons une pensée émue pour notre regrettée dame La Tuile, compagne de not’ commandant, lâchement « agressée » par un pavé volontairement descellé par des brigands, en l’An 19. Le maudit pavé en cause est aujourd’hui exposé parmi nos reliques historiques au casernement de Rochefort.

19H15 : Nous voici à La Taberna 1810*. Il est temps d’montrer à nos ennemis ce qu’est un vrai Français armé d’une fourchette (Il ne s’agit pas là de la baïonnette). L’sang qui coule dans nos veines c’est point d’la vinasse de messe qui tache. Nous prenons place à une table et passons commande au serveur qui semble ne pas avoir tout compris, puisqu’il nous ramène les provisions de bouche de toute la garnison, pour au moins un mois, alors que nous ne sommes que quatre : La GabelleLa JoieL’Philippe (le conducteur du Train) et vot’ serviteur, moi-même le Tire-Bourre. Après deux heures d’orgies bacchanaliennes alimentaires, nous quittons cette cantina, repus, meurtris, les paupières lourdes, comme nos pas, mais nous sommes vainqueurs. La descente qui mène au bivouac est bienvenue, elle facilite l’accès à nos tentes mais que diable font tous ces gens rassemblés là, sur des chaises et une estrade. On est les vainqueurs, certes, mais pas à c’point là, je n’suis pas Jules César, ni l’Patron ! En fait, c’n’était pas pour nous, mais d’un spectacle à la Portugaise. Un peu déçus, nous rejoignons nos pénates.

*Taverne 1810. (Année du siège)

Spectacle lyrique dans les douves de la Porte San-Francisco
Spectacle lyrique dans les douves de la Porte San-Francisco

Samedi 31 

00H15 : A c’t’heure tardive, il devrait faire nuit noire, mais les rayons dardant des deux  phares d’Alexandrie* placés près du bivouac, et sensés éclairer la forteresse, n’illuminent que notre campement. Dans chaque tente il fait « noir comme en plein jour ! ». J’vais profiter de cette nuit blanche pour échafauder un plan d’action, dont seule l’élite des canonniers d’marine  a le secret. Cette blancheur nocturne ne semble pas gêner  le « scieur de long » qui partage ma chambrée en toile. Tout en dormant, il imite tous les sons bruyants d’son chantier d’Vendée… Bon Dieu, où s’trouve l’étoupe pour me boucher les portugaises ?

06H15 : La lumière est moins vive dans la tente, le jour est donc levé !

Les fourmis préhistoriques locales ne semblent pas apprécier les effluves de notre transpiration humaine, voire marine. Les « commodités » étant éloignées de notre campement, nous formons une belle ligne le long du rempart le plus proche pour nous soulager, tout en admirant les graffitis gravés dans la pierre par nos ancêtres.

07H00 : Direction La Taverne San-Francisco pour le petit déjeuner, disons, frugal : chocolat, pastel de nata, brioches, croissants, madeleines et re-chocolat.

09H30 : On file vers l’armurerie pour la perception des 16 kg de poudre en proportion de notre effectif « présent »… heu !... théoriquement inscrits. J’ai 10 bonshommes dispos pour confectionner, d’après mes calculs savants, environ, 1600 cartouches. Nous commençons le fastidieux boulot, puis, j’lève les yeux, et j’vois que toute l’équipe est à fond. Lors de notre dernière campagne nous n’étions plus qu’sept, puis six, puis cinq et enfin il ne me restait que… quatre bougres. Comme quoi la qualité remplace parfois la quantité !

10H30 : La confection des cartouches est enfin terminée. J’libère promptement le micro-détachement des braves volontaires vers le campement. Il me faut désormais rapporter toutes ces munitions au dépôt des Poudres & Salpêtres.


La sinistre poudrière à la poterne Saint-Jean de Dieu de la citadelle.
La sinistre poudrière à la poterne Saint-Jean de Dieu de la citadelle.

10H40 : Je suis de retour dans nos douves bivouac. Je m’équipe en 30 secondes et départ pour les couleurs. Levée sans musique et sans chant. Pourquoi ?*

 *NDR : Nous sommes contrits d’apprendre le décès en mission de deux militaires portugais tombés lors d’un accident d’hélicoptère.                                                                                                                                          

C’est le cœur et le pas lourd que rentrons au campement sans un mot.

12H30 : Direction le Tapas habituel au TalmeydaCervesa de limao et autres frugalités. Visite des lieux et retour au camp. Préparation de l’armement et des divers effets. V’là ti pas que not’ muletier veut s’prendre pour un fusilier-marin. L’appointé fourrier l’équipe avec des effets en stock.

Philippe dit « Le presque-Corse » en presque matelot
Philippe dit « Le presque-Corse » en presque matelot

18H00 : Nous quittons le camp en direction du bastion pour nous dérouiller un peu en faisant quelles manœuvres

18H45 : Nous nous mettons en route pour  la cérémonie de la descente des couleurs. La chose étant faite, nous retournons au bastion pour le traditionnel échange de présents avec nos meilleurs ennemis portugais du GRHMA. J’prends une escouade rapide pour filer au camp récupérer nos cadeaux de France. Nous revenons charger et fourbus à la table des « négociations ». Nos homologues Portugais sont aussi généreux à table qu’avec la qualité & quantité de leurs cadeaux qu’ils nous offrent. Constatant le nombre de bouteilles de vins, de Porto et autres offrandes sur la table, nous décidons, en douce, de ne pas incendier l’église et la moitié du village c’t’année, surtout qu’à proximité de la tente qui nous abrite se trouvait une statue de la Vierge dont les yeux semblaient nous reluquer. Mauvais présage ! Gaffe ! Qu’on s’dit !

19H30 : Les échanges « diplomatiques » sont toujours en cours et not’ troupe se délite au même rythme que les tables du repas champêtre du soir se remplissent. Mais, pour nous aut’ canonniers, ce soir, ça sent pas la bonne pitance lusitanienne, mais plutôt le : « Que dalle, ceinture, rien, nada, le vide du bide ! », bref, on n’a pas eu l’temps d’grailler !

20H30 : Les « pourparlers » semblent avoir échoués, c’est la guerre ! En fait c’est un prétexte pour se foutre sur la g… histoire de voir qui s’ra l’plus fort, comme chaque année. On file chercher les munitions au dépôt des poudres.

21H45 : Les bras chargés des munitions de guerre, nous faisons un détour par le bastion pour déloger les culs-de-plomb qui étaient collés au marchand d’glaces, pendant qu’le quartier-maître Campiston et l’matelot Le Marsoin s’enfilaient une bouteille champagne frais*. Mais où qu’ils ont trouvé ça, ces macaques ? Que j’me dis !

*En fait, cette bouteille, venant du dépôt du Train du Vergeroux/Rochefort, était destinée au maire d’Almeida. Bravo, les gars !

22H15 : L’artillerie distribue les cartouches au détachement d’marine présent. Pourquoi aux « présents » me direz-vous ? Eh ben, parce qu’ils en y a toujours qui s’croient encore en permission pendant leur classe, et pas sur un champ de bataille.  Et ça s’pointe comme « une fleur » alors qu’on est tous en rangs serrés, l’arme au pied pour partir se battre. « Sergentj’n’ai pas d’cartouches comment j’ fais ? Bouhhhh ! J’pleure comme un bambin incapable de s’torcher seul !». Bref ! Le commandant m’empêche de justesse de leur refaire une boutonnière à la fourchette, mais j’arrive encore à les fusiller du r’gard. (Bon, comme y faisait nuit, y zont rien vu !). Cependant, ça m’a r’monté comme un coucou Helvète. Le prochain qui m’fait une réflexion, j’le transforme en peinture rupestre. C’est donc en toute sérénité, mais affamé, que nous partons combattre les ennemis de la France. Nous traversons la ville en silence. A la sortie du bled, des spectres semblent nous guider à la lueur de leurs lanternes sur un chemin de chevrier. J’entends comme une sorte de râle pas très sourd. Peut-être celui de grognards « mourant » à proximité. Mais en fait, c’est mon estomac qui gargouille et crie famine. De ce fait, avec l’écho dans les douves, question attaque surprise, c’est mort ! Nous voilà coincés dans l’fond du fossé, cernés par les remparts grouillants de troupes, éclairés comme en plein jour.  A vue d’nez, j’compte que devant nous, y a environ 500 alliés, drapeaux flottants au vent et, au-dessus, bien 6 000 autres bougres de tous corps. J’reluque not’ ligne, infanterie de ligne, des grenadiers, de la légère, un peu d’artillerie et enfin nous aut’ marins, soit tout au plus entre 150 et 300 types à l’effectif. Le différenciel pourrait sembler défavorable à notre impériale brigade, mais que nenni, on va les « fumer », ces mecs, c’est sur, un vrai carnage !

Not’ général de brigade français, dont l’nom m’échappe, s’avance en première ligne, longue vue en main, se servant de son aide de camp comme trépied. Il s’agit là, sans doute, d’un jeune emplumé voulant bien faire. Je jette un œil sur not vieux commandant et j’devine ses pensées : « Chante beau merle, c’n’est pas avec mes 20 campagnes lusitaniennes que tu vas m’apprendre à danser l’fado ! ».

Les trois pièces d’artillerie dont nous disposons sont placées à dix pas devant, les boutefeux allumés. Les troupes de marine sont disposées sur l’aile droite, faisant, comme d’hab, la « tenaille » comme aut’fois dans la forêt de Machecoul. Sur not’gauche, c'est-à-dire au centre, des grenadiers de la ligne en bonnets à poil et shakos, puis sur l’aile gauche plusieurs bataillons d’infanterie. Pas de cavalerie, les chevaux, n’étant pas des bouquetins, sont dans l’impossibilité de gravir les éboulis des remparts démontés par nos sapeurs. L’alerte est donnée, les troupes alliées se forment en bataille. Nous apercevons des habits-rouges dont les fameux et baraqués Ecossais Black Watch qui avaient brisé le « fondement » de notre compagnon Campiston*. Les canons d’en-face se mettent en place. La ligne française reste immobile l’arme au bras. Not’ commandant est toujours d’un calme exemplaire, il aime le bruit du carnage et l’odeur de la poudre. Tu parles ! Il a vu qu’en face de nous se trouvait une simple milice locale, ayant justement dans ses rangs une forte proportion de jeunes Portugaises. Il s’y connait bien, not’ vieux chef en lusitaniennes. Y va encore nous faire le coup d’l’asile politique par anticipation, histoire de s’faire câliner par ces tigresses brunâtres.

* Le Campiston est resté sur le terrain après les combats d’août 19, puis emmené prisonnier dans un hôpital militaire de la Guarda, dont il resta plusieurs jours avant d’être rapatrié en France, en échange d’officiers britanniques prisonniers chez nous.

Là, d’un coup, nos canons aboient dans un vacarme assourdissant. Je m’ dis : « Mes namois  me manquent, j’vais leurs ramener un petit souvenir ! ». Pendant qu’les canonniers rechargent leurs pièces, toute la ligne française s’avance et fait une magistrale décharge générale sur la masse ennemie dont les rangs sont d’un coup fauchés comme les blés.*

*Il s’agit là d’une image épique, voire d’une licence poétique, un peu exagérée certes, mais c’est bon pour l’imagination du lecteur !

Le combat général s’engage de toute part. Face à nous, les miliciens et paysans armés de fourches, piques, pistolets et fusils. Ils tentent des actions de harcèlement, vite réprimées. Mais, j’prends très mal que ces drôlesses arrivent à nous prendre quelques-uns de nos jeunes soldats dont j’doute de leur volonté de combattre. D’ailleurs, elles nous les rendent, plus tard, à moitié « défagotés », et le sourire aux lèvres. Ca se paiera bientôt sur le camp !


Aile droite du dispositif composée de la brigade de marine
Aile droite du dispositif composée de la brigade de marine

 


Des assauts sont repoussés d’un côté comme de l’autre, laissant sur le terrain toujours plus de blessés et de tués*, parfois secourus par le service de santé, aidé de cantinières. D’un coup, je m’aperçois que nous avons enfoncé seuls les lignes ennemies. Laissant les « terreux-lignards » heu ! J’veux dire la Ligne loin derrière nous. Ben alors, que j’crie !!? On n’a pas eu d’ordre de repli, donc, y a pas dire « La ligne c’est comme les voltigeurs et la Garde, premiers au bar et derniers au front ! » Bon, j’arrache le canonnier La Joie qui était entrain de finir un écossais avec les dents, et j’le ramène en le trainant par le collet, jusqu’à not’ position de départ. L’a encore un bout de kilt dans la bouche. Il reste là, les bras croisés en grommelant dur, genre : « C’est point juste, sergent, on n’peut plus trancher les carotides comme ont veut, si j’avais su j’aurais pas v’nu … tu vas voir y vont m’piquer ma part ! » Et voilà qu’y s’met à bouder en faisant l’bec, un vrai môme ! Attendri quand même (car le canonnier d’marine est un être sensible), j’y redonne 30 cartouches, mais rien d’plus ! J’en profite pour élargir mon champ visuel afin d’voir où nous sommes dans c’te mêlée. J’vois l’ouvrier La Rouille qui cherche au sol avec ses tentacules son silex perdu, le matelot Ti-Punch semble hors de combat, l’ouvrier Plan-Plan revient ventre à terre des rangs ennemis après s’être fait capturer pour la 7ème fois. A mon avis, y a d’la donzelle là-dessous ! J’crois voir du sang sur son visage, mais en fait, c’est du rouge à lèvres, sacripant, va ! Ce qui me semble bizarre c’est la masse de troupes ennemies qui beuglent du haut des remparts, mais ne participent pas au combat, y s’croient au Colisée d’Rome ! Drôle de guerre, j’vous jure !

D’un coup ! Le noir total, un silence de mort, ça y est j’suis émondié, que j’me dis ! « Ding dong », mon heure vient d’sonner. Que vont devenir tous ces namois orphelins dans c’monde de brute ? Ça y est, j’vois la grande lumière blanche dans l’obscurité, c’est mon passage vers l’aut’ monde, guidé dans le ciel par un ange en forme de namoi … ?! De NAMOI ???

*Il s’agit encore là d’une image épique, voire d’une licence poétique, un peu exagérée certes, mais c’est bon pour l’imagination du lecteur 

L’ange Namoi, saint-patron des artilleurs de Vendée la Blanche
L’ange Namoi, saint-patron des artilleurs de Vendée la Blanche

Est-ce un beau présage ou une diablerie qui défile dans le ciel ? Le délirium me prend, sans doute du à une commotion cérébrale dans ma calebasse. C’est la presque fin. « Adieu, mon commandant ! » J’vois des trucs brillants dans l’ciel, tes textes qui m’rappellent que j’suis mort à Almeida.

Y z’ont du changer la recette de la cerveza de limao
Y z’ont du changer la recette de la cerveza de limao

D’un aut’ coup, BAOUUMMM ! Tout pète dans la citadelle. Mille explosions dans l’ciel. C’te fois c’n’est pas l’canonnier Long-Feu qu’est responsable de s’bouquant, l’est pas v’nu cette année. Le saboteur aurait pu attendre la fin d’mon passage dans l’aut’ monde ! En fait, j’suis bin vivant et c’est tant mieux pour mon refuse de namois. Par contre pour la promesse de ne pas brûler l’église et l’village, en échange des beaux cadeaux, c’est mort !



Début des explosions qui vont détruire une grande partie de la citadelle et du village en-dedans


Dimanche 01 septembre

0H30 : La citadelle est encore détruite pour la vingtième fois. Après les civilités d’usage entre officiers des deux camps, v’là ti pas qu’ils s’embrassent et s’promettent de faire mieux l’année prochaine. Y sont gonflés, ces emplumés ! Les troupes s’en retournent  au campement après avoir enseveli « fictivement » les 221 glorieux « morts ». L’canonnier La Joie traine  toujours, derrière lui, le corps velu d’un écossais qu’il a assaboui. J’y dis : « La Joie, lâche-le, on a dit c’est fini ! Alors on arrête maint’nant, vu ! ». « Mais heuuu ! » qu’il répond en bougonnant. « Ca suffit ! Tu files dans ta tente, ouste ! » que j’ordonne.

Rassemblement sur le camp et récupération du reliquat de cartouches dans les gibernes, puis je m’en retourne au dépôt de la poudrière. Au retour, j’fais mon curieux devant le mausolée aux namois, où je ne fais que porter un regard de pro sur les systèmes de sécurité de l’édifice. Loin de moi toutes idées malveillantes. Je suis juste à la recherche de nouvelles connaissances sur les principes antivol, anti-effraction etc. Bref ! Les trucs anti-adoptions d’un autre pays, voilà tout ! J’file vite fait au camp pour me mettre sur le dos quelque chose de plus sobre (ou plutôt plus sombre) afin d’sortir en ville incognito : chaussures en crépon noir, culotte noire, chemise noire, gants noirs et masque noir (avec les trous pour les yeux). En effet, comme tout l’monde le sait, j’ai horreur qu’on me reconnaisse !

5H30 (Enfin !) : Il est temps de dormir, je suis crevé, j’en ai plein l’dos et j’ai mal partout. La « chose » qui « dort » maintenant à côté de moi prend vraiment d’la place.

7H : Réveil au tambour. « On a faim ! » Qu’on s’dit ! C’est à ce moment-là qu’La Joie m’interroge sur l’étrange forme sur le coté d’ma paillasse. J’y réponds : « c’est l’corps du soldat inconnu. Je l’ramène avec nous pour une cérémonie sur nos terres chrétiennes civilisées d’Aubigny - l’Immaculée. Le détachement de la 1ère Cie du 3ème RAMA réduit à 1/3 de son effectif théorique, soit 2 canonniers plus le sergent en 1er La Gabelle, fait mouvement vers le troquet du coin pour prendre une petite collation, comme le dirait not’ commandant. T’as l’air crevé qu’y m’disent ! J’accuse le coup des 48 allers et retours d’hier soir, mais y s’foutent de ma gueule en disant qu’à l’heure ou je suis rentré, j’ai du faire une halte chez une lusitanienne esseulées à la silhouette d’une pièce de 36. « Bande de jaloux ! » Il est vrai que dans la nuit, je m’suis « levé » un super « canon », mais j’en dis pas plus, j’laisse le doute.

9H30 : Je file une dernière fois au dépôt pour tenter d’récupérer des cartouches dans les ruines de la poudrière encore fumante. En effet, hier soir on a tiré comme des dingues, histoire de compenser le peu d’effectif de not’ brigade, et les gibernes sont vides. Aujourd’hui, l’ennemi semble vouloir en finir, on va les y aider en les exterminant. J’suis l’premier à oser braver la chaleur extrême de ce brasier qui fut aut’fois un dépôt des poudres et salpêtre*. J’me charge le dos de tonnelets de poudre, comme un baudet du Poitou, et j’file en direction du camp pour ce dernier trajet de l’année. J’en n’ai plein les guêtres ! 

*En c’qui m’concerne les incendies, explosions & brûlures ça m’connait. Bref !

10H : Rassemblement pour les couleurs sur la place d’armes. Toutes les troupes belligérantes (plutôt ce qu’il en reste) sont présentes. Tous les pavillons sont amenés, les hymnes sont entonnés et les officiels se saluent cordialement avant de discuter l’bout d’gras des conditions d’la reddition de la citadelle. Bla-bla ! D’un coup*, on nous informe que des soldats et insurgés portugais, aidés d’un renfort britannique, tentent une attaque sournoise de la citadelle, devenue nationale, heu … impériale. « Ouf ! » qu’on s’dit ! On va bouger un peu ! Nous prenons place devant la porte San-Fransico. Les troupes se forment en bataille,  un namoi de 4 est en batterie, prêt à tirer. Not’ commandant donne des ordres. C’est à ce moment là qu’les portes se referment sur nous… C’est l’bazar, on s’est fait rouler dans la farine, nous r’voilà au point d’départ, eux dedans et nous dehors ! « Crotte, zut, flute ! » que j’dis, tout surpris d’mes propres « gros mots » ! On est dimanche, on n’a pas l’temps pour ce type d’enfantillage. Y sont curieux ces Lusitaniens, y vont pas à la messe ces chrétiens-là ? Pas grave, comme d’hab’, on va s’adapter. On est chargé comme des frégates de 44 avec des flingues de concours. Le bal commence, nous tirons des salves continues assourdissantes que seul le son du canon parvient à couvrir. Plusieurs unités légères et des Polonais sont envoyés dans les douves. Not’ brigade de marine est chargée de prendre les portes principales. La première tombe en quenouille rapidement, le bois de chêne n’aime pas les boulets d’fonte. Nous prenons les glacis tandis que nos voltigeurs du 79ème de ligne appuient nos Polonais dans les fossés. Les insurgés barricadent la dernière porte. Il faudrait un énorme bélier comme au Moyen-Age pour défoncer un tel obstacle. Mais, le 3ème RAMA est là, et ça change tout ! Toute la 1ère Cie (2 gonzes) fonce sur la grande porte en chêne massif et à coups d’épaule, finit par la coucher, écrasant les pauv’ bougres en dessous, dont not’ La Joie abrège les souffrances à la « fourchette ». J’interviens lui disant d’en laisser un peu pour les aut’ ! Il me répond : « M’en fout des aut’, moi d’abord ! ». (L’artilleur de marine, tout généreux et solidaire qu’il est par nature, peut parfois se montrer personnel !)

*Le « d’un coup », c’est pour faire bien, car chaque année depuis 20 ans, c’est l’même scénario, y a toujours un reliquat d’insurgés qui veulent en découdre juste avant qu’on parte, et on leur colle la plumée. En fait, j’pense qu’ils veulent qu’on reste chez eux !

Piégés de toute part et ne pouvant être secourus, les quelques officiers « insurgés » s’avancent vers nos emplumés, présentant la garde de leurs sables, indiquant la fin des combats. Les armes sont rendues pour la forme. Tous se saluent et s’embrassent de nouveau (c’est une manie chez ces gens-là !). C’est enfin fini ! La citadelle reste désormais à nous aut’ les envahisseurs, cette année encore. Il est fort à parier qu’ils tenteront de la reprendre l’année prochaine*, mais le 6ème Corps, dont les marins de Rochefort, sera de nouveau présent.

*Il s’agit là d’années dites « marmottes », c’es à dire sans fin !

12H30 : Rassemblement sur la place d’armes pour amener, une dernière fois, les couleurs. Le matelot Cayenne, toujours puni, tenant la drisse de notre impérial drapeau tricolore. Les hennissements bruyants des chevaux du haras local, semblent nous remercier de ne pas avoir emmené le « Boucher équins des quat’pattes », le quartier-maître La Garouille et toute sa descendance d’affamés. C’est l’heure de la remise des indemnités de guerre. L’alcade de la commune et ses adjoints sont « priés » d’ouvrir la cave municipale, remplie de bons vins portugais, qui est, une nouvelle fois pillée.* Des décorations sont remises aux braves soldats, dont les marins de Rochefort qui commencent à ressembler à des généraux russes. Les prises de guerre récupérées, les chefs de corps se saluent et tout le monde repart vers le camp.

*On s’demande si cette action n’est pas de vider les surplus de pinard des viticulteurs locaux, histoire de reconstituer les stocks pour l’année prochaine.

Not’ chef donne ses dernières consignes pour le départ, c’est alors que j’demande : « Mon commandant, c’est pour quand la solde ? ». Il se r’tourne vers moi et d’un ton très autoritaire, me répond : « Sergent, quel est le stock de cartouches ? », « Plus rin mon commandant, on a tout fumé ! » que j’y dis ! « C’est bien, l’Masséna est donc passé par là ! » qu’y m’répond. « Mais, chef, c’n’était pas ma question ! ». « C’est ma réponse ! Rompez ! » J’tente de comprendre, ce qui met un peu de temps. Puis sentant encore l’arnaque, je fonce les sourcils, et m’apprête à rameuter mon monde pour gueuler « Pas content ! ». Pas d’bol, le Vieux est déjà parti demander une nouvelle fois l’asile politique.

13H30 : C’est l’heure de s’restaurer. On voudrait bien ingurgiter les rations K de l’ennemi, mais elles ont honteusement disparu, comme la solde, l’Masséna et not’ chef aussi. Nous filons vers les tavernes du coin. Trop tard ! Tout est plein, plus d’barbaque à grailler. Reste not’ QG Le San-Francisco, mais là aussi la terrasse est bondée, sauf une petite table, isolée par miracle, grâce sans doute à not’ Saint patron l’ange Namoi, On vide alors 2 à 3 chopes et on remarque un petit étal avec de la bouftance dessus. On a tous « baffré ! ». C’n’était pas not’ but au-début, mais l’tavernier, acquis depuis fort longtemps à la cause des Français, y n’ voulait pas nous laisser partir comme ça. C’est donc au forceps qu’il fallut nous extraire de ce lieu de malédiction.

14H30 : Préparatifs pour le départ vers not’ impériale patrie et notre doux casernement d’Aubigny-La Spongieuse. J'fais un tour le long des remparts, j’enlace chacun des gros namois présents, une larme à l’œil. J’sens bien qu’ils voudraient que j’les adopte, « ça viendra » que j’leur dit.

15H : Tout le matériel est rassemblé devant la Porte San-Francisco, le « soldat inconnu » pèse le poids d’un âne mort, qu’y m’disent mes canonniers. « Ouais ! Mais c’est parce qu’il est mort chargé d’biscaïens ! » que j’réponds à ces curieux.

15H15 : Nous entendons un fort bruit de sabots sur le pavé et voyons arriver les 400 chevaux. Il est ordonné au détachement qui arrive d’aider au chargement. Le conducteur de 1ère classe du Train des équipages semble être au troquet du coin à s’enfiler un café. J’en profite pour faire charger « le corps sans vie dans son linceul » de façon discrète. Puis, c’est l’départ.


Lundi 02 septembre

 00H00 : (C'est-à-dire très tard le soir, ou très tôt l’matin !). Nous traversons la frontière sans qu’aucun douanier, ni gendarme ne tente un contrôle de routine. A c’t’heure, ils dorment ! Mon rythme cardiaque se calme enfin. Je finis de « falsifier » officiellement quelques documents. Vous verrez qu’un jour faudra un permis pour conduire du beurouette. Arrêt au relai de Bidard où un détachement du 44ème équipage, à l’effectif d’un seul matelot, nous quitte pour rejoindre son casernement. Plus tard, nous laissons à celui de Bordeaux, un second détachement, puis nous continuons notre route jusqu’à la place d’armes du bourg d’Echillais-Les Bouses où habite notre cher commandant. Le Train des équipages va rejoindre son dépôt au fort de Vergeroux et les différentes unités de marine et d’infanterie s’en retournent vers leur casernement respectif.


Rapport comptable sur les consommations

La poudrière d’Almeida a fourni 16 kg de poudre qui ont permis de confectionner 1500 cartouches (enveloppes fournies par le dépôt de Rochefort).                                                                

1000 coups tirés. Il reste un reliquat de 500 cartouches.

5 silex changés et 2 réglages de batteries.


Nota :

Remerciements sincères et chaleureux à nos amis reconstitueurs portugais dont ceux du GRHMA avec qui Le Garde Chauvin est jumelé, le maire et la commune d’Almeida ainsi que son personnel, tous d’une grande compétence et disponible à tout instant, le petit troquet le San-Fransico dénommé par nous « le QG » à l’entrée de la citadelle, le bar du coin où nous nous sommes « désaltérés », l’autre nommé « l’Avant-Garde », les restaurants locaux dont les assiettes semblaient toujours trop petites pour les portions livrées et à un coût très raisonnable, et enfin à l’ensemble de la population d’Almeida pour leur accueil et leur gentillesse.

 

Veuillez trouver ici, mon commandant, la copie de mon journal de marche, sans aucune menterie, écrit en parfait et compréhensible français, sans faute, ni omission,… enfin j’l’espère !

Avec mes plus plates, courbées et respectueuses considérations.

Fred, dit Tire-Bourre

Viva Almeida !           Viva Portugal !

                       

Mais Vive l’empreur !*

*Faut pas déconner non plus!

 

 

 

Texte d’origine : Fred, dit sergent canonnier Tire-Bourre.                                                                                              

Transformation et modifications : Daniel dit Lumière-Céleste.                                                                               

Corrections diverses : Christelle dite La Royale et Benoit dit Main-Gauche.

 

P.S : Je ne comprends pas trop le Lusitanien mais voila quelques copies de presse locale après notre passage.

Assalto ao Museu de Almeida

« Cambriolage au musée d'Almeida »

A vítima do museu de Arsène LUPINE francês

« Le musée victime d'Asréne LUPIN Français »

Um canhão de inestimável valor histórico desapareceu durante a noite

« Un canon d'une valeur historique inestimable a disparu dans la nuit »

 

 

 

 

Antes do voo

Avant l’emprunt


 

Depois « Après l’emprunt »

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