Canjuers et le Arsène Lupin des Namois
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Les textes, rapports, journaux, cahiers de marches, notes etc., rédigés par des membres du Garde Chauvin, n’ont pour but que d’amuser l’adhérent ou le lecteur passionné d’histoire, d’humour et de caricatures, le tout devant être pris au second degré et au-delà. Chacun des auteurs décrivant à sa façon ce qu’il a vécu ou vu au cours d’une manifestation ou animation de reconstitution historique. Le texte original est alors modifié par la « rédaction impériale », transformé, remis dans un contexte historique en y ajoutant des expressions populaires du temps, de l’argot, voire des mots provenant de dialectes ou patois régionaux et de courtes citations cinématographiques. L’ensemble du texte est ensuite soumis au contrôle de « correcteurs » qui vérifient l’orthographe plutôt que les règles grammaticales souvent mises à mal. Soyez indulgents et ne prenez jamais le contenu de ces textes pour parole d’Évangile.
Le 3 juillet de l’an 2023
Journal de marche du Sergent Tire-Bourre, chef de la 1ère batterie
1ère compagnie du 3ème Régiment d’artillerie de Marine (6ème Corps d’armée)
Commémoration de la création du 3ème Régiment d'Artillerie de Marine
Camp de Canjuers (Var) le 29 juillet de l’an 2023
Le détachement du 3ème Rama de Rochefort était composé de:
Commandant Lumière céleste, Sous-lieutenant Pépé-Camomille, Sergent en 1er La gabelle, Sergent Tire-Bourre, Sergent La Franchise, Canonnier Le Brutal, Quartier-maître Matelot-canonniers Demi-Lune, matelots-canonnier Pleine-Lune & Cayenne, Apprentis-canonniers Plan-Plan & Cambresis.
Jeudi 28 Juin.
17H : Rassemblement de la 1ère section de la 1ère Cie du 3ème Régiment d’artillerie de marine, sis au petit dépôt d’Aubigny dit « Les-Grandes-Eaux ». C'est un jour de gloire, pour le moins exceptionnel, à graver dans le marbre. En effet, nous avons mission de nous rendre dans un lieu unique, voire mythique avec transportation* vers le futur, soit en l’an … 2023, à 950 Km d’ici (j’ignore combien ça fait de lieues, d’nos jours !). Not’ cimetière des éléphants à nous aut’ artilleurs de marine, un camp secret où reposent, paraît-il, des tas de namois** en liberté, sous la surveillance de « Bigors » presque tous originaires de lointaines îles de Polynésie.
*Transportation, je n’connais pas ce mot, mais c’est not’ commandant qui la dit, et à nos interrogations, il a simplement répondu : « Vous verrez bien ! Rompez ! »
**Namoi : Surnom donné au canon, quel que soit son calibre et sa nationalité, rencontré au fil des campagnes du Garde Chauvin, arbitrairement considéré, par le sergent Tire-Bourre, « orphelin et abandonné », donc, lui appartenant de fait.
Dès réception de la feuille de route, j’file au secrétariat du dépôt, chercher une pile de formulaires d’adoption (Ref. 3ème Rama-A-38). Le commis aux écritures dénommé M’sieu Epson, n’en finit pas d’recopier, à la plume d’oie, tous les documents demandés. Le sergent OMM en 1er La Gabelle, qui fera le déplacement et le canonnier Le Brutal, semblent perplexes quant à l’objet de cette mission, dite « spéciale ». J’dirai même plutôt « soupçonneux », car voyager dans l’temps, c’n’est pas leur tasse de thé. Y n’veulent point s’faire transportailler, comme ils disent. Voyant mon enthousiasme et surtout la liasse de formulaires d’adoption, y disent qu’il faudra bien deux bataillons du Train pour ramener toute cette ferraille. Que nenni ! Que j’leur réponds à ces deux sceptiques, le « vieux » ne m’refera pas l’coup d’Almeida, du genre : « Les formulaires sont incorrects, y a trop d’poids ; pas d’place dans l’charroi ; y sont pas à nous ; le calibre est portugais et pas français ; etc. etc. », que des excuses bidons. Mais je songe, tout bas dans ma tête, qu’il n’veut p’tèt point s’fâcher avec les Portugais à cause du fait qu’il demande, chaque année, l’asile politique à l’alcade du bled. Bizarrement, voire concomitamment*, la solde, nous assure-t-il, « aurait » toujours été « volée » par l’emplumé d’Masséna. J’me d’mande s’il n’conserve pas tout ce magot pour s’faire construire une seconde demeure à colonnades de marbre blanc en Lusitanie, toute pareille à celle qu’il possède en Saintonge. Là, j’fais une moue d’interrogation qui met en vrille mes deux compagnons, qui grommellent pour en savoir plus sur cette mission et les papelards qui sont dans mes mains. « Ces formulaires, sergent, c’est pour en adopter un ou plusieurs de vos trucs en fonte ? » qu’ils demandent ! En fait, c’est pour m’faire adopter moi-même dans s’paradis des namois, que j’leur réponds ! Une idée de génie, j’vous l’dis ! Ils se regardent, puis me fixent de leurs yeux bovins en disant que j’suis dev’nu zinzin.
*J’crois qu’ce mot veut dire qu’c’est tout pareil, mais j’en suis pas sur !
Bon, j’vois qu’ils ne sont pas convaincus ! Tant pis ! Le temps presse et on a rendez-vous pas loin de notre casernement de Rochefort, à Échillais, chez not’ commandant. D’ailleurs, l’aime pas trop, not’ vénéré chef, qu’on cause beaucoup d’sa grande bicoque. L’Fouché, qu’est l’chef de toutes les polices impériales, a des yeux partout, et not’ commandant n’souhaiterait pas qu’son r’gard se pose sur son domaine. Une histoire de « fisc » dit-il, mais je n’sais point à quel corps appartient c’machin-là. J’ai promis au commandant d’garder l’secret en échange de quelques pochettes de café-noisette de contrebande, qu’il me donne en douce.
Nous sommes donc partis de not’ blanche Vendée pour rejoindre la Charente, dite Inférieure. Nous traversons le Sève Niortaise sur le pont d’Brault où c’te fois les garde-côtes sont présents*, nous passons La Rochelle, changeons d’mules au relai des Trois-Canons. Plus tard, nous apercevons, à bâbord, l’fort de Vergeroux, près d’la Charente. Nous arrivons devant les remparts de Rochefort, nous passons la Porte de La Rochelle, et on s’dirige vers celle de Martrou, tenue par des canonniers du 3ème. Après avoir traversé le fleuve sur le bac, nous arrivons au village d’Echillais où nous prenons une chopine au Troquet « l’Escale » près du débarcadère, puis nous voici devant le simple « portail en ferraille » de la « cabane » de not’ bien-aimé commandant, gardé par un ouvrier de la marine.
*Voir le précédent journal de marche.
L’planton jette un coup d’œil sur notre « laissez-passer », puis nous mène au commandant. Les salutations d’usage faites, nous rejoignons le centre du bourg où notre délégation régionale du 3ème Rama doit se réunir. Pour la petite histoire, tous les ouvriers, dont not’ commandant se sont faits coudre un collet rouge d’artillerie de marine. Un faux-col ne fait pas d’eux de vrais canonniers, que j’pense ! Le charroi, venu du Var dans l’ Midi, est là. Trois types dont deux conducteurs du Train des équipages, dénommés Jean Ragnotti et Harry Vatanen, puis un chef de bord, le sergent canonnier d’marine Béka*. Nous chargeons avec délicatesse tous nos effets dans le chariot, comme le feraient des culs-terreux fourchant du fumier dans une « beurouette ».
*De son vrai nom Bruno Kantoucar.
19H : Tout est prêt. Not’ commandant donne l’ordre du départ de la transportation, les mules s’emballent et trottent gaiement vers notre … futur. Dépassant Saintes, j’fais partir un de nos messagers, un pigeon voyageur surnommé SMS-Petits-Pois, afin de prévenir de notre arrivée prochaine, nos compagnons du dépôt de Bordeaux.
20H45 : Bordeaux. Nous « choppons » au passage, nos canonniers-marins d’la flottille et prenons la route, non pas comme d'habitude en direction de Bidart et son fameux palmier dénommé le Pisseux, mais celle des Castels (pas ceux d’la Loire), mais bien de Castelsarrasin, Castelnaudary, et Castel-vin-en-poudre-des-bidasses, dont le négociant était encore à Bordeaux en l’an 75.
La transportation qui, paraît-il, devait être instantanée, n’va pas plus vite qu’une charrette tirée par des bœufs asthmatiques. La route est longue et on s’positionne comme on peut dans l’charroi pour passer la nuit. J’en profite pour rêver à tous ces beaux namois qui bientôt n’seront qu’des namois-à-moi ! On s’arrête parfois dans des tavernes glauques pour s’enfiler une sorte d’ersatz de café chaud, fort cher d’ailleurs.
Vendredi 29juin.
6H30: Il fait encore sombre dehors. Tout bouge d’un coup, j’crie tout fort : « Branle bas de combat, on est attaqué ! ». L’vaisseau tangue, roule et vire sans cesse, tantôt à bâbord, puis à tribord. Mes esgourdes se dépressurisent à chaque instant. Ah ! Ces véroles d'anglois, ils n’m'auront pas vivant. J’cherche à tâtons, mon sabre avec frénésie, C'est là qu’je sens une tape sur mon épaule. C’est l’commandant qui m’dit : « Eh, oh ! Sergent, tope-là c’bordel, on s’réveille, on est dans le col de Canjuers ! ». Je reprends mes esprits, j’crâne, rictus aux lèvres, en disant que j’le savais et que s’raffut, c’était pour plaisanter ! Voyant les aut’ rigoler, j’pense qu’ils n’ont point cru à mes fariboles. Effectivement, nous étions chahutés sur ces chemins sinueux, amplifiés par la conduite sportive de not’ Harry Vatanen de guimbardier, et ses bourriques formule-1. N’empêche, je s’yeutais les surplombs et ravins afin d’voir s’il y a d’la tunique rouge dans l’coin.
Nous voici arrivés devant la porte du camp de Canjuers, not’ cimetière des namois. C’te transportation, c’est d’la blague, que j’pense ! On a l’dos rompu par la longue route. Ca marche pas c’truc du futur. Le planton qu’est drôlement habillé en une sorte de buisson mouvant avec une galette de feutre sur la tête, nous reluque avec circonspection. Il regarde l’ordre de route et nous laisse passer, puisque nous sommes à bord d’un véhicule de l’Etat, dont les nombreux chevaux sont, paraît-il, cachés en d’ssous. Il semble impressionné d’voir de vrais hommes du… passé. L’aurait été bien plus en reluquant les fameux pectoraux de not’ Requiem de caporal- fourrier, qu’est pas là c’te fois, à not’ grand désespoir, car on l’verra plus tard, y aura des douches dans chaque chambrée, rien à voir avec la seule du bivouac à Almeida. Bref !
On avance doucement sur le chemin qui va nous mener au Walhalla ou Valhalla* des namois. Ma gorge se serre, j’arrive point à déglutir, car ils sont là, à chaque carrefour, en surplomb à droite, à gauche, dans les prés alentour. Je suis surpris de leurs formes, y sont pas comme les miens. Ceux-là n’ont pas d’affûts d’bois et sont montés sur des chariots tout ferrés. Mais, j’les entends, ils murmurent mon nom, comme les sirènes de l’Odyssée, pour l’Ulysse : « Viens et reste avec nous, Oh ! Grand Maître … ! ». Mes compagnons qui m’voient dans un drôle d’état, sorte de délirium pas très mince, me sautent dessus, me ceinturent et me sanglent comme un saucisson corse. Soit, z’ont aussi entendu les sirènes d’Homère, mais j’en doute, y n’ont point l’ouïe aussi sensible que moi, soit y pensent que j’suis devenu maboule par la trop forte émotion. J’proteste et j’hurle que c’est : « Pô juste ! ».
*Paradis des Vikings
Nous arrivons au grand quartier où les logements ne ressemblent en rien à ceux de mon dépôt d’Aubigny. Tout est immense ici et plein d’fenêtres, des canons, obusiers de toutes sortes et en liberté, dans tous les coins. Not’ Empereur nous avait caché ces armes secrètes que l’anglois voudrait bien avoir. On m’déssaussissonne, puis un infirmier m’dragonale avec une dizaine de p’tits cachets blancs, pour me calmer, dit-il.
8H : L’sergent Béka, nous désigne un bâtiment qui nous servira de logement. Nous montons des escaliers sans fin avec notre barda sur le dos. Au dernier étage et au fond d’un long couloir, nous prenons possession de nos chambrées. Le Brutal avec moi dans celle de gauche avec vue sur l’immense place d’armes. Les autres se partagent les lits dans une autre chambre. Rien à voir avec nos puciers d’bois à deux places avec paillasses de son comme sommiers, et une vieille couverture de laine de nos chambrées vendéennes. Not’ commandant et le sous-lieutenant Pépé-Camomille réquisitionnent la dernière. Y a pas à dire, on est bien ici ! Certes, au dépôt d’Rochefort, on a bien une chambrée correcte, mais c’est moins luxueux, mais à c’t’heure, j’m’en « beurre les cacahuètes ! », j’suis dans un état second, j’rêve tout éveillé, sans doute à cause des pilules blanches de l’apothicaire qui font effet.
Nous partageons aussi not’ chambrée avec deux jeunes apprentis-canonniers : Planplan et Cambrésis. Ces deux innocents conscrits ne savent pas encore que Le Brutal, travailleur infatigable, œuvre à la nuit tombée, dès qu'il s’étend sur sa paillasse. Car il imite, à la perfection, le bruit assourdissant des grandes scieries de Vendée, de la Forêt Noire, voire de celles des Vosges, toutes réunies. C’est à vous vriller les tympans, mais moi, j’me bouche mes « portugaises » avec de l’étoupe. Mais laissons ces bambins à leur juvénile innocence, pour quelques instants encore. Ils ignorent quels sont les effets néfastes des acouphènes. L’en sait quelque chose, not’ chef, qui après quarante ans d’coups d’fusils et d’canons, entend une sorte de volière d’étourneaux dans une oreille et un sifflet strident continu à l’autre. Y d’vient sourd-dingue not’ commandant, mais ce bien heureux homme n’entendra pas v’nir l’boulet, qui l’fera passer d’vie à trépas.
9H : Après l’réveil, pas d’clochette pour appeler la troupe au petit déjeuner. On s’habille fissa et on file au local, dit de « semaine », où nous devons prendre le café du matin. Not’ nouveau sergent Beka a apporté des « gâteries » qu’il nomme « croissants », sorte de gâteaux roulés moelleux rapportés de nos campagnes d’Orient. J’n’ai pas mon café-noisette habituel, mais tant pis ! C’est la première fois qu’ce sergent du futur voit un sergent canonnier d’marine en uniforme du passé, tout chamarré d’couleurs bleues et rouges, alors qu’il est moitié vert, marron et noir, presque transparent devant un bosquet. Il appelle ça du « camouflage ». Curieuse pratique, alors que nous aut’ il faut s’reconnaître de loin, pour pas s’faire tirer dessus par les copains. D’autres sous-officiers, même des femmes !!!!, se pointent, nous reluquent avec surprise et font de superbes images de nous avec de curieuses palettes instantanées, sans pinceaux, ni peinture. Incroyable ! Mais n’est-on pas dans l’futur ? La surprise passée, on nous aborde sans appréhension, reconnaissant en nous de vrais canonniers-matelots, par notre position particulière, accoudée, presque couchée sur le comptoir, le verre en main. Y a pas d’époque pour s’tenir de cette façon, c’est comme ça qu’on s’reconnait dans les tripots des ports. J’regarde autour de moi, et j’vois qu’les compagnons portent presque tous le collet rouge, j’aurai jamais eu tant d’canonniers d’marine à mes côtés. J’espère que not’ valeureux chef, n’a pas l’idée malsaine, saugrenue, voire perverse, d’envisager une promotion. Y m’a déjà eu avec la croix des braves qu’il m’a bouté sur le poitrail, et auparavant, cousu un galon doré sur les manches de mon paletot, sous prétexte de changer les boutons. Tout ça à l’insu d’mon plein gré ! J’vais m’méfier ! Il tente de me rassurer me disant qu’c’est pour rendre hommage à l’artillerie de marine et qu’à l’issue, tout redeviendra comme avant, les ouvriers et matelots d’un côté et les canonniers de l’autre. « Mouai !!! » Que j’pense !
9H20 : Rassemblement, tout équipé près de la place d’armes. On rencontre enfin l’commandant Odorici, à qui on donnera plus tard le surnom de Pazzi per il parmigiano*, qu’on réduira à Parmigiano. Il adore se régaler de parmesan. C’est l’homologue ne not’ chef à nous aut’, qui nous a invité dans c’te présent qu’est en fait not’ futur. Bref ! Il en profite pour nous faire visiter ce lieu mythique où vivent des namois de toutes espèces et en liberté, dont un dénommé Caesar, sans doute en l’honneur d’un empereur. L’est trop imposant pour l’embrasser, mais j’y murmure quelques mots gentils en m’approchant, histoire de pas l’effrayer.
*Fou de Parmesan
J’prends mon courage à deux mains et j’demande au commandant pourquoi ce nom de Caesar et pas le Terrible, le Brutal, le Tyrannicide, comme les nôtres. Il me répond la chose suivante : « Jeune homme, deux choses : Primo, l’Empire Romain est tombé il y a quinze siècles et Jules, cinq siècles plutôt. Secundo, on a choisi Caesar, mais on aurait pu lui donner l’nom de Charlemagne qu’avait aussi des bouches à feux à son époque. Mais pour la vox populi, le premier représente la Puissance et le second, l’Ecole ! ». J’tente d’aborder l’sujet d’un nommé Fulton qu’aurait tenté d’faire naviguer un bateau à vapeur sur la Seine, histoire de lui démontrer la modernité de not’ époque à nous aut’. La vapeur, ça n’lui dit rien d’autre que la cuisson des légumes !?? Et v’la qu’il me parle de carburant-bio, gazole, nitro-méthane et nucléaire, et là, c’est moi qui n’pipe plus rien !
Il nous dit qu’c’est bien dommage qu’on ne soit pas arrivé hier, histoire de répéter un brin nos futures manœuvres devant les troupes modernes et les autorités. Mais not’ commandant à nous, l’interrompt et dit : « Vous avez là, devant vous, la quintessence de l’élite des troupes napoléoniennes, la crème des crèmes, le dessus du panier d’navets du corps impérial de l’Artillerie de marine, celui du 3ème de Rochefort ! ». Il rajoute martialement : « MES hommes sont des bêtes de guerre, ils s’adaptent à tout, improvisent, dominent, construisent, détruisent et ventilent, selon les ordres. Alors, Commandant, pas d’panique, 37 ans d’campagnes, 300 000 km dans les mollets d’ces géants des troupes de marine, sauf un ! ». « Donnez-moi un exemple de vos derniers exploits ! » Qui d’mande le douteux galonné du futur. J’coupe le sifflet d’mon chef de bataillon et j’y réponds : « Aubigny-les-Grandes-Eaux, Vouvant-la-Gadoue, en pays blanc d’Vendée, contre la cavalerie, l’Château d’Mouillepied en Saintonge ! Ce sont là nos Austerlitz, Eylau et Wagram à nous aut’ ! ». « Top là !! », qu’il dit, « j’vous crois sur parole ! ».
Il nous faut rejoindre notre emplacement pour le défilé. En colonne par deux, nous marchons au pas, not’ commandant en tête, suivi de l’Aigle et sa garde. Nous sommes scrutés, reluqués, épiés de toutes parts. On ne peut nier que l’artilleur de marine, collet et épaulettes rouges, de surcroît expérimenté, car faut voir nos chevrons d’ancienneté sur les bras des vieux, ça en « jette ». En fait, les Vieilles moustaches sont devant, les conscrits derrière. J’espère que ces derniers rejoindront leur corps respectif, car je n’tiens pas à faire un élevage. Et je songe qu’au-delà d’une forte escouade de canonniers, c’est un caporal et un sergent qu’il faut. Un effectif plus important, faudra un sous-lieutenant, voire un lieutenant pour commander tout ça. Et là je m’dis qu’y a peut-être un obscure piège du Vieux, prudence ! Mais trêve de cauchemardise, faut rallier les troupes et s’insérer dans le dispositif.
10H : Plusieurs compagnies « modernes » du 3ème Rama sont présentes. On rencontre plusieurs détachements de troupes de marine venus d’autres passés, d’autres époques. Ce futur, c’est du délire pur pour nous aut’. D’un coup, j’suis pris d’un frisson, comme aut’fois à l’abbaye de Montierneuf en Saintonge. J’vois un modèle réduit de not’ patron Napoléon dit Le Grand, alors qu’celui-ci ne semble pas plus haut qu’trois pommes, voire d’un simple trognon. L’est obligé d’monter sur un escabeau pour chevaucher son fier destrier d’au-moins une toise et demi au garrot. Il s’agit là d’une pâle copie, d’un faux grossier de not’ grand chef. Je songe que not’ Napoléon à nous, y d’vait point être libre lorsque l’commandant Parmigiano l’a invité à s’transportailler dans l’temps.
J’reprends rapidement mes esprits. Toutes les troupes sont alignées, la musique des troupes de marine joue la Marche Consulaire et le défilé commence. C’est à nous d’ouvrir le bal et de fouler d’un pas glorieux cette nouvelle place d’armes du 3ème Régiment d’artillerie de marine. L’Empereur, à cheval, file comme le vent, loin derrière, not’ commandant, puis, à bonne distance, nous aut’, Aigle en tête. Nous marchons au pas, presque glissé, dit ordinaire, loin des 120 pas minute de ceux qui nous suivent. Le tour de la place, devant les autorités militaires et civiles, semble interminable. « Peloton, halte ! » qu’il dit le commandant, puis nous assistons au passage des autres troupes de marine, dont certaines portent des tenues bizarres. A vrai dire, c’est nous aut’ les plus beaux !
10H30 : Fin de not’ prestation, le défilé est achevé, nous laissons là les officiels et le général terminer la passation de commandement ainsi que les remises des décorations. « Nom de diou ! » Que j’me dis, j'aurais du glisser, en douce, un formulaire d'adoption de namois, qu’le général aurait signé et mon commandant, très obéissant, aurait mis sa griffe aussi, sans être obligé d’faire des courbettes pour appuyer ma demande. Y a pas à dire, j’manque parfois d’jugeote, et pourtant, j’suis sergent ! J'vais demander mon dégradement pour la peine.
11H30 : Nous présentons les armes au passage des nouveaux Bigors qui défilent devant nous, leur colonel en tête, droit comme un refouloir. La pression est forte, nos corps frissonnent devant nos futurs et fiers héritiers, qui, de la Révolution, le Consulats, l’Empire et au-delà, marcherons glorieusement sur nos pas.
12H30 : Les rangs sont rompus pour prendre un godet au milieu de toute l’assemblée réunie. Nous rejoignons une sorte de contrescarpe où quelques discours et remerciements sont prononcés par le colonel Lentz, le sortant, et le colonel De La Tousche, le rentrant. Des cadeaux sont remis et notre unité venant du passé est mise à l’honneur sous les applaudissements. Not’ commandant avait fait « peindre » et mis sous cadres les portraits du colonel Lentz et celui du commandant Audirici/Parmigiano. Un peloton de coloniaux sort, d’un coup des rangs, et se lance dans une chorégraphie guerrière polynésienne, visages grimaçants, poussant de sauvages hurlements et tirant la langue, à vous faire prendre vos jambes à vot’cou. Ils appellent cette pratique un Akka. Not’ groupe se disperse pour boire le coup. Près de moi, Le Brutal, La Franchise et l’commandant, nous discutons tranquillement, lorsque j’suis pris de vertiges, mes yeux se brouillent, j’ouïe plus rien, mon regard se fige devant un vrai namoi d’mon époque, dont l’trou noir de la gueule me regarde. Que diable fait-il ici ?
J’y murmure quelques mots, histoire de faire connaissance et j’fais gaffe qu’on ne me remarque pas. L’saucissonnage et les p’tites pilules blanches, non merci ! Le Brutal, sort de sa poche un calepin et un double décimètre et commence à prendre les cotes de cet ancêtre afin d’envisager de l'exfiltrer en douceur et le placer dans les soutes du charroi. J’griffonne quelques croquis frénétiquement sur mon carnet. Le « chef » me cause mais j’entends point ces mots, car j’réfléchis aux moyens d’emporter ce trésor. D’un coup, je suis interrompu dans mes pensées car not’ commandant est appelé par le colonel Lentz afin de recevoir les honneurs qui lui sont dus devant un parterre de militaires de tous rangs.
13H : Nous nous installons sous une grande tente pour prendre un repas bien mérité. Cependant l’organisation semble défaillante, car il n’y a point d’clochette* pour nous indiquer où prendre notre pitance. Mais nous avons une botte secrète, qu’est not’ Luis Mariano à nous, l’ingénieur Pépé-Camomille, qu’à pas son pareil dans ce genre de situation. Nous n’étions pas encore assis qu’il avait déjà son assiette pleine, deux cartons d’vins du coin et trois fûts d’bière. Il nous indique l’emplacement de la cambuse régimentaire. Nous prenons la file, gamelle en main que de charmantes soldates nous remplissent abondamment de mets typiquement polynésiens, antillais, voire de l’Océanie lointaine. Un régal ! Certes, les repas de nos canonniers sont toujours très appréciés et nos estomacs les supportent bien, mais nos conscrits, ouvriers et matelots ne sont habitués qu’au lard rance et aux fayots pourris des rations d’l’intendance maritime. Y vont souffrir mille maux de ventre, nos compagnons ! On s’rempli la panse jusqu’aux molaires.
*Sur nos bivouacs, la clochette de notre cambusier résonne lorsque c’est l’heure du repas.
15H : Nous sommes repus, après ce gargantuesque repas, pour certains très arrosé. Nos souliers ferrés semblent bien lourds pour regagner, puis gravir les marches jusqu’à nos chambrées. Durant le parcours nous réfléchissons au programme du reste de la journée. J’propose, histoire de digérer un brin, quelques activités de type varappe, demi-fond, marathon, parcours du combattant et bien d’autres gâteries du genre. Tous refusent, les poltrons !
15H02 : Arrivé à nos chambrées, une sorte de léthargie, voire de méditation semble gagner notre détachement, car tous ou presque s’étendent sur leur paillasse et contemplent les plafonds jaunis. Un calme, disons, silencieux, inonde ce lieu, seulement troublé, pour le moment, par le doux chant des cigales : « Cri-cri, cri-cri ! ». Béatitude de courte durée, car, hélas, c’est à cette instant que nos scieurs de longs se remettent au travail et l’étoupe retrouve sa place au fond de nos conduits auditifs.
19H : Dans un songe je repense à deux citations ayant trait à nos chers scieurs de long, dont la première vient d’un fusilier nommé Raymond Devos, qui disait : « Rien, c’est déjà énorme. Tenez, essayez de ne rien faire, et bin, c’n’est pas facile, voire même délicat ! ». L’second, un sapeur dénommé Pierre Dac disait aussi : « C’est comme le travailleur courageux qui n’a pas peur de dormir à côté d’son travail, pour bien lui montrer qu’il n’a pas peur de lui ! ».*
*Le canonnier de marine surprend toujours le pékin moyen par l’étendue de sa grande culture.
19H30 : Les paupières s’ouvrent à nouveau, les outils et scies de long sont aux râteliers. Il fait « faim » qu’on s’dit. On s’renseigne auprès du sergent Béka, pour savoir où s’trouve la cambuse régimentaire, histoire de compléter un brin l’repas d’midi. « Le mess est fermé à c’t’heure ! », qu’il dit l’sous-off. Aïe ! La stupeur, l’effroi, le drame. « On va tous mourir de faim ! » qu’ils disent les conscrits. L’Pépé-Camomille va défaillir de soif, n’ayant plus son jaja du Roussillon. « Qu’allons-nous dev’nir ! », qu’ils disent les autres, sauf not’ chef, que rien ne surprend.
Voyant nos mimes déconfites, le sergent Béka tente de nous rassurer, nous indiquant que dans le monde d’aujourd’hui, (pour nous aut’ de demain, voire d’après-demain), il existe des cambuses « automatiques » dans le camp. Sortes de cabanes qui distribuent de la nourriture d’origine italienne ou grec dite « Pizza », contre de la menue monnaie. Après avoir découvert la notice de fonctionnement de cette boite magique, et surtout le moyen de paiement, nous choisissons notre galette respective, tantôt avec du saucisson, des champignons, de la tomate et plein d’autres ingrédients. On a bien tenté de discuter avec le cuistot qui devait se trouver en-dedans, mais notre « italien » étant bien faible depuis la dernière campagne d’Italie en 1800, le type n’a jamais voulu nous répondre. J’ai pris quelques cotes et fait des croquis de cette extraordinaire cambuse, mais j’ai pris conscience qu’avec les canons qu’on va emporter, ce machin là ne passera jamais dans la soute. Une remarque toutefois, ce cuistot italien est bien lent, car si la dernière « galette » est sortie chaude, les dix précédentes sont désormais froides. Nous prenons place sur des tables pour déguster c’te nourriture fantasmagorique. Autour de nous, des bigors polynésiens et africains chantent et dansent au son des djembés et ukulélés sur des rythmes créoles endiablés. La nuit approche et la fatigue se fait sentir malgré la sieste de l’après-midi. Le détachement regagne les chambrées qui sont équipées de jets d’eau chaude dénommée « douches ». Faut avouer qu’nos successeurs ont bien d’la chance. Pour nous aut’ c’est l’abreuvoir à bestiaux ou le ruisseau pour se laver. Ceux qu’ont été à Almeida, ont une tendre pensée pour not’ bien regrettée Requiem*, qu’on aurait bien voulu observer sous c’te fameuse douche. Tant pis, mais le souvenir reste !
*Requiem, surnom donné à notre caporal-fourrier Anaëlle.
Samedi 1er juillet de l’an 2023.
6H : Mis à part nos deux 2 jeunes apprentis-canonniers qui ont subi le vacarme nocturne, voire nuisible de nos scieurs de long, tous les autres compagnons sont debout. Le commandant Audirici/Parmigiano nous donne la consigne de nous vêtir de nos oripeaux civils afin d’éviter une recrudescence d’engagements. Nous sommes invités à visiter divers lieux de la région, qui, à première vue, sont bien différents de notre époque.
7H : Nos conscrits sont enfin là, des havresacs sous les yeux. Nous descendons jusqu’au premier étage dans une pièce dénommée « Espace détente » qu’on pensait bêtement être un lieu de stockage des toiles de tentes. Bref ! Nous y ingurgitons un premier café chaud en attendant de prendre le petit déjeuner prévu à 8H30. Dans l’attente nous refaisons le monde, parlons de nos campagnes ou jouons sur une table avec des petites boules, qu’ils nomment « foot ». Rien à voir avec les Régiments of Foot, rencontrés en Espagne.
8H30: Enfin ! Rendez vous à la 4ème batterie où nous sommes accueillis par un sergent de semaine très efficace, en peu de temps nous sommes nourris et abreuvés.
9H30 : Le sergent Béka et le commandant Parmigiano arrivent. Un chariot sans attelage, mais avec un conducteur du Train, attend à l’extérieur. Tout en discutant, histoire de faire plus ample connaissance, le Cdt Parmigiano demande à se faire ouvrir la grande salle d’honneur se trouvant dans le bâtiment de l’état-major du régiment. Ce sera pour plus tard qu’on lui répond.
10H : C’est l’heure du départ pour la ville de Fréjus, où se trouve le musée traditionnel des troupes de marines. Nous quittons les montagnes pour retrouver une altitude très proche du pays charentais. Nous sommes reçus par un sonore et strident chant de cigales :« Cri-cri, cri-cri ! », inconnu dans nos contrées atlantiques. C’est Marabunta ! Que j’me dis. Mais c’est plutôt le décor qui me met en transe. Des namois, bombardes, obusiers et autres couleuvrines, sont partout ! Je m’efforce de rester calme, car certains compagnons tiennent en main des cordelettes et autres entraves au cas où ! Nous entrons dans cette caverne d’Ali Baba, ce Walhalla en cours de travaux. J’fais vite l’inventaire du matos présent et j’ordonne à me deux apprentis-canonniers Cambresis et Plan-Plan, de tenter de chiper un petit namoi sur ses roues qui traine dans un coin, avec mission d’l’embarquer en douce dans l’chariot, imitant ainsi leurs aînés La Joie et Le Brutal avec le gros Gribeauval du camp de Canjuers, rencontré tantôt
Deux soldats de marine sont présents, un de garde, l’autre assis derrière une sorte de verrière, sur laquelle sont suspendus de nombreux badges et diverses breloques militaires. Sur les murs sont suspendus une multitude d’affiches et plein de trophées rappelant les exploits des troupes de marine et coloniales au fil du temps. Nous entrons dans une vaste pièce où sont entreposés des milliers d’objets, d’armes, d’uniformes, des drapeaux et étendards. Un sanctuaire rappelant le sacrifice de nos « futurs » aînés. Sur un mur de marbre rose sont gravés les noms des différents combats des troupes de marine. Nous restons là figés devant tant de souvenirs et notre commandant Parmigiano salue militairement ce glorieux édifice, dont un semble mal orthographié. Durant la visite de ce lieu mythique, notre commandant à nous aut’ reconnut un objet que son père, mécanicien-aérostier dans les années 50, tenait en main, le fameux « Palmier en zinc » qui se trouvait dans un troquet de Djibouti, bien connu des militaires de l’époque.
Nous faisons quelques emplettes, histoire de ramener quelques souvenirs à nos contemporains de l’Empire. Ils ne nous croiront jamais, que j’pense. Avant de prendre congé, nous remercions les militaires présents ainsi que notre commandant Parmigiano pour cette émouvante visite qui nous rassure sur le futur de notre corps. C'est poussant les lourdes portes du sortie du musée que :
Ces maudites et bavardes cigales « Cri-cri, cri-cri ! », nous débouchent les esgourdes. Je m’dis que s’il y a tant d’incendies dans l’coin, c’n’est pas par accident, mais parce qu’il y a un manque d’insecticides. Trêve de massacre virtuel, il est grand temps de s’restaurer
12H30 : Notre guide-commandant et son subordonné le sergent Béka, nous font entrer dans une grande auberge ou les mets savoureux de toutes sortes font profusions. Repus, nous reprenons notre visite. Direction les arènes romaines.
14H30 : Nous pénétrons dans ce qui devrait être le vieux Fréjus, et faisons halte devant l’entrée d’un amphithéâtre romain gardé par une sentinelle avec laquelle nous négocions durement l’accès, ainsi qu’à divers sites locaux, qu’on appelle ici un Pass. Quelques menues monnaies suffisent pour corrompre le bonhomme. Nous entrons dans cet immense colisée, en grande partie ruiné par l’usure des siècles passés, mais restauré d’une manière un peu bizarre, avec des plaques de métal conçues par un certain Anatole Ondulé, soutenues par des poutres de pierre. On constate que ces « restaurateurs » n’ont rien à voir avec les Romains de Marc Aurèle. C’est comme si on demandait à un hussard Chamborant d’construire un pont d’bateau !
15H : Le sergent Béka nous informe qu’il nous faut être de retour avant 17H au camp de Canjuers. Nos conducteurs du Train étant appelés à d’autres missions lointaines. Le planton des lieux, que nous avons tantôt soudoyé, nous informe qu'à 300 m d’ici, il y a le musée de la Préhistoire de la ville de Fréjus, et du barrage de Malpassé. 300 m ça fait combien en pieds et pouces. On s’en fout, qu’il dit ! C’est à environ trois minutes à pied.
15H30 : 300 m en 3 minutes ! Mon « séant », que j’pense en grommelant. C'te gardien, si je le retrouve, j’le déguise en chrétien et l’fais bouffer par des lions, si j’en trouve. Pris par le temps nous décidons de faire deux groupes, chacun visitera un musée. Le rendez-vous est fixé à 16h. place de l’église. Not’ commandant prend la tête du premier groupe pour le musée de la Préhistoire et moi-même, celui du barrage de Malpassé. Nous parcourons les quatre niveaux à vitesse grand V, et pas à rame, une vraie galère.
15H58 : La visite faite, nous attendons le groupe du Cdt. En effet, l'Artilleur de marine aime la ponctualité. Nous filons tous en direction de la place en contrebas, où nous attendent les chariots du Train. En chemin nous tombons sur une plaque commémorative qui nous informe du triste futur de notre Patron en 1814. Nous sommes, comme sur le banc d’Arguin, au large du Sénégal, médusés.
Ancien hôtel de la Poste où Napoléon à logé du 27 au 28 avril 1814, en partance pour l’Ile d’Elbe.
Not’ Sire est partout.
17H00 : Nous sommes de retour au camp. Le Cdt Parmigiano fort de ses galons nous fait ouvrir la salle d'honneur du 3 Rama. J’en profite pour aborder, en douceur, le sujet de ma demande d’adoption. La réponse fut simple et cinglante : « Z’ êtes pas bien, c’est pas un orphelinat ici, ni une nurserie ! ». J’dégluti douloureusement : « La tuile ! », que j’me dis. Nous gravissons quelques marches et entrons dans la salle d’honneur où je repère de suite un p’tit namoi de type Lahitte, crucifié comme JC* sur un mur.
*Il ne s’agit pas du Second-maître Jean-Côme dit Lapérouse.
Semblant en bon état, malgré ses fixations, j’tente les premiers gestes de réanimation, une sorte de bouche à lumière. J’peux point l’mettre en PLS, mais il semble réagir. Rassuré, j’lui promets que j’reviendrai le chercher bientôt. Tout en conservant un œil sur lui, j’continue ma visite vers la fameuse pièce où sont rassemblés de multiples trésors, dont un fameux boulet de calibre 6, son étoffe rouge et sa caisse en bois, que nous avons offert au colonel Lentz, en mai dernier à Rochefort, près de la caserne Charente, lieu où fut créé notre régiment.
La salle est garnie de drapeaux, d’étendards, de fanions, fusils, revolvers, pistolets et baïonnettes de toutes époques, dont beaucoup inconnus de notre dépôt d’Aubigny. Tout en regardant avec beaucoup d’attention tous ces objets historiques, je m’rapproche du planton-Bigor pour lui demander discrètement, s’il n’aurait pas, par hasard, une clé plate de 17 ou 19. Son regard interrogateur et surpris, suivi d’un mouvement négatif de la tête, me font comprendre qu’il me faudra me débrouiller tout seul pour décrucifier mon pauv’ namoi à l’étage. Pas grave on fera avec ou plutôt sans… ! Cependant nos yeux se portent sur une grande plaque de marbre où sont inscrits tous les chefs de corps du 3ème Rama depuis 1803, et nous constatons une grave erreur, le patronyme de notre colonel est mal orthographié, car il est inscrit Baudry d’Assone au lieu de Baudry d’Asson E. (Esprit) et son frère Baudry-d’Asson C. (Charles). Le Cdt Parmigiano promet de faire rectifier cette erreur.
18h30 : C’est l’heure (avancée et sans clochette) d’aller diner, le sergent Béka nous mène au réfectoire régimentaire où les repas sont distribués comme sur nos bivouacs par des commis de cuisine, même pas surpris de rencontrer des ancêtres. Des soldats de tous corps sont alignés plateau en main. Nous nous insérons dans la queue et attendons notre tour. Nous nous attablons et soupons agréablement. Plusieurs coloniaux portent leurs armes à la bretelle, ils sont sans doute de service. Le repas ingurgité nous retournons à nos chambrées et conversons sur cet extraordinaire voyage dans le temps où nous avons côtoyé nos futurs p’tits, p’tits, p’tits fillots.
22h30 : Extinction des feux. C’est l'heure pour la plupart d’entre-nous de fermer les paupières et de faire de beaux rêves relatifs à ce court séjour dans l’espace temps, aux côtés de nos frères d’armes des troupes de marine et coloniales.
Dimanche 2 juillet.
0H01 : Le canonnier Le Brutal et moi faisons une petite virée dans le camp, profitant de la paisible fraicheur nocturne, tout en rêvassant. Puis nous rejoignons nos lits. J’espère qu’en me réveillant, je n’serai pas sur ma paillasse au quartier d’Aubigny-Les-Grandes-Eaux. J’ignore si nos scieurs de long vont bosser cette nuit. M’en fout !
6H : C’est la Diane, réveil pour tous. Il faut désormais songer à s’transportailler vers not’ présent, à nous aut’ soldats d’Empire. Rangement et nettoyage des chambrées, remplissage des sacs, valises et autres, puis nous descendons prendre un jus d’chaussette chaud au local de semaine, avant de transporter nos affaires jusqu’au point d’l’exfiltration temporelle*. *J’ignore ce que ça veut dire, mais c’est not’ commandant qui cause ainsi !
7H : Voulant épater la galerie en singeant notre illustre chef, j’ordonne à l'apprenti-canonnier Planplan d'informer le chef de bord que : « le gilotron semble frotter sur le vachiplume ce qui provoque un effet hallucino-quantique sur la valve de la roue droite ». Je profite de cet instant pour faire charger dans les soutes, le plus lourd de mes bagages, sans hélas, « certains » namois que je m’étais promis d’emporter. Que vont-ils penser de moi, ces reliques ancestrales ? Je tente de me rassurer constatant le peu d’espace dans l’ventre du chariot pour les emporter tous. Plan-plan revient me voir disant qu’il n’a pas pipé mot de ma demande et qu’le chef de bord a rigolé en lui disant d’retourner à ma place. Le charroi s’ébranle et nous quittons ce lieu mythique la gorge serrée, que nous espérons bien revoir une autre fois, si Dieu nous prête vie !
12H : En chemin nous faisons une halte dans une taverne écossais*e près de Castelnaudary. Nous payons à vils prix nos repas.
*Le tavernier se nomme Mac Donald’s.
19H : Nous arrivons dans la bourgade d’Echillais, fief de notre valeureux commandant. Nous déchargeons nos lourds bagages et les transférons dans nos véhicules respectifs. Parmi ceux-ci un long et imposant objet entouré de papier kraft, lié avec de la ficelle. Qu’est-ce donc ce secret « machin » que nous n’avions pas à l’aller ?
Veuillez trouver ici, Mon Commandant, la copie de mon journal de marche, sans aucune menterie, écrit en parfait et compréhensible français, sans faute, ni omission, … enfin j’l’espère !
Avec mes plus plates, courbées et respectueuses considérations.
Fred, dit Tire-Bourre
Ah oui, au fait : Vive l’empreur !*
*Faut pas déconner non plus!
Texte d’origine : Fred, sergent canonnier dit Tire-Bourre.
Transformation, modifications et censures : Daniel dit Lumière-Céleste.
Corrections diverses : Christelle dite La Royale et Benoit dit Main-Gauche.
Information : Une copie d’un article paru dans un journal du Var, quelques jours après notre passage temporel, a informé le public d’un rocambolesque et mystérieux rapt d’un canon dans le musée des troupes de marine, accompagné d’une image du lieu de l’effraction.
Mur sur lequel était crucifié, avant not’ passage, un petit namoi de type La Hitte
Saviez-vous que le 4ème prénom de Tire-Bourre était Arsène ?
Bonus :
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